L'épreuve pour abaisser, humilier l'opposant fait parler d'elle ces temps-ci, mais elle ne date pas d'hier. Ainsi Micberth dut-il l'affronter dans les années 60. Rappelons que Jean Royer, maire de Tours, lui avait confié l'organisation d'une partie des activités artistiques et culturelles de la ville pour la saison 1967-1968. Aussi, devenu « homme de spectacle » avait-il mis en scène de nombreux dégagements autobusiaques et spectacles divers sous le signe de la dérision et de la démystification, ouvrant la voie au café-théâtre. Ses collaborateurs et lui militent alors pour une révolution des mœurs, de la pensée sociale, de la morale, de la politique et entreprennent un « déconditionnement » de la société. Puis arrive Mai 1968. Micberth lance alors le 12 mai, le premier numéro de Révolution 70, journal provocateur et pamphlétaire dont A.D.G est le rédacteur en chef. Quatre numéros verront le jour en 1968, le quatrième (2 juin 1968) étant celui de trop. Micberth y écrit notamment : « Ne vous laissez plus enculer par des poulitichiens galeux, vrombisseurs honnis. Informez-vous travailleurs, ceux qui profitent de vos revendications légitimes pour leurs ambitions politiques personnelles ne doivent plus vous représenter. » Cerise sur le gâteau, le journal publie un photomontage (de mauvais aloi...) où la jeune Anne Frank demande qu'on lui envoie des caramels (mous) si possible et des illustrés pour adoucir son sort.

Micberth écrit dans « Pardon » : « Nous eûmes, tout à la fois, contre nous, la droite, la gauche, le centre, en passant par les extrêmes, et bien évidemment les pouvoirs publics. La presse locale, inféodée à François Mitterrand en la personne du président-fondateur de La Nouvelle République, l'ancien ministre Jean Meunier, nous dénonça à la vindicte populaire, dans un article intitulé « Inadmissible !... » et réclama nos têtes aux autorités. » (NDLR : Jean Meunier, vous savez, le grand-papa de la petite Nathalie Saint-Cricq...)

Jean Royer convoque Micberth pour lui dire qu'il se désolidarise de son action. « Dans nos correspondances et nos articles, nous avions dénoncé tous ceux qui avaient fait la gloire « scabreuse » de notre région depuis trente ans. Une telle démystification, un tel viol des usages ne pouvaient rester impunis. Et nous fûmes contraints de quitter la ville de Tours, lieu principal de nos « méfaits ».

Micberth est alors « invité » à se présenter (le 7 octobre 1968) au cabinet du juge d'instruction Marty en tant qu'inculpé d'outrages aux bonnes mœurs par voie de presse. Le juge demande un examen psychiatrique du prévenu avant la rencontre. Il n'a retenu comme délit que le photomontage avec la petite Anne parmi tous les possibles.

Dans un premier temps, mauvais tête, Micberth ne répond pas à la convocation des médecins experts chargés de l'examiner et se fait engueuler par son avocat qui lui enjoint de répondre à la seconde convocation : « Je vous conseille très vivement de répondre à cette seconde convocation du 28 août. M. Le Juge d'Instruction vous a indiqué dans quel esprit cette commission des médecins experts avait été faite et vous ne sauriez vous en formaliser. D'autant qu'elle est prise dans votre intérêt, car elle ne peut que vous servir. »

Il obtempère finalement et se retrouve devant le Dr Ferrant et le Dr Fromenty qui procèdent à son examen psychiatrique afin de répondre aux questions suivantes : « 1°) L'examen du sujet révèle-t-il chez lui des anomalies mentales ou psychiques ? Le cas échéant les décrire et préciser à quelles affections elles se rattachent. 2°) l'infraction qui est reprochée au sujet est-elle ou non en relation avec de telles anomalies ? 3°) Le sujet présente-t-il un état dangereux ? 4°) Le sujet est-il accessible à une sanction pénale ? 5°) Le sujet est-il curable ou réadaptable ? »

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Voici quelques extraits du rapport (établi le 31 août 1968) qui se passent de commentaires ou presque.

« Les faits. (…) Dès le début des événements de Mai 1968, accompagnant les manifestations de la révolte estudiantine, l'inculpé a sorti 4 numéros d'un nouveau journal Révolution 70 destiné selon lui à défendre le gaullisme, à confondre ses adversaires. (...)

« Antécédents de l'inculpé. (…) Il est né à Tours en 1945. Son père est mécanicien et en bonne santé. Sa mère, 49 ans, est bien portante. Il a une sœur 30 ans, mariée à un peintre en bâtiment, mère et bien portante. Lui-même s'est marié et a une fille de deux ans et demi qu'il paraît chérir. Il a déclaré faire bon ménage et avoir une sexualité normale. Il a été dès huit ans à l'école, puis au lycée ; mais a rapidement contesté la valeur de l'enseignement qu'on y donnait, a cessé de le fréquenter et a suivi la voie publicitaire. (...)

« Examen de l'inculpé. C'est un homme de taille moyenne, mince, en très bonne santé. A la manière de nombreux adolescents actuels il porte les cheveux très longs et une barbe assez longue, respectée des ciseaux. Il est souriant et poli, mais demande la permission de fumer, ce qu'il fera sans cesse au cours de l'examen. Il est vêtu de noir, avec une mise un peu recherchée. Il parle d'une voix douce, sans colère et sans réticence. (…) La vulgarité, la pornographie et la scatologie des gravures de son journal ne sont pour lui que des symboles. Ce qu'il veut, c'est l'éducation de l'homme que les méthodes officielles d'enseignement abrutissent. Comme nous l'avons déjà dit sur le plan pratique, son intelligence est d'un niveau normal. Probablement supérieur à la moyenne. Mais c'est un autodidacte, qui emploie souvent de grands mots dont il ne connaît pas le sens exact. (NDLR : Là, tous ceux qui ont connu Micberth et l'ont entendu s'exprimer hurlent de rire ! Micberth aimait les mots et s'exprimait avec très grande clarté, dans une langue choisie et imagée. Il aurait dû venir avec son dictionnaire en poche. Et pourquoi ce mépris pour l'autodidactisme ?) (…) Il semble que la vague révolutionnaire qui a soulevé nombre de jeunes de Mai 1968 ait brusquement libéré chez l'inculpé ce fonds ordurier tenu en tutelle jusqu'ici dans son inconscient, et qui a symbolisé sa libération politique. L'examen physique ne montre chez lui aucune maladie. L'examen neurologique ne montre aucun signe de lésion organique des centres nerveux. »

Et les experts de conclure que le personnage n'est pas dangereux, qu'il est accessible à une sanction pénale et réadaptable. Ouf !

Pour ce qui concerne les textes incriminés... c'est une autre histoire. Afin d'établir leur rapport, les psychiatres n'examineront pas les articles de Micberth mais ceux de ses collaborateurs. Micberth écrit : « On décela dans mes textes de la jargonaphasie schizophrénique. Et cette affirmation prend toute sa saveur quand on sait que pour appuyer cette hypothèse, les psychiatres prélevèrent, dans les publications éditées par moi, des textes de mon jeune collaborateur Gilles Cormery*. Cela relevait du canular et ne fit qu'accentuer ma révolte. Je résolus de m'opposer de toutes mes forces à cette inculpation grotesque. Le juge Marty me fit connaître, lui-même, ses sentiments sur cette affaire et me convainquit qu'il ne pouvait passer outre les décisions du procureur de la République. (...)

« Je devais par n'importe quel moyen, éviter le jugement du tribunal correctionnel, car je savais la magistrature prévenue contre ma personne, et rien n'aurait pu faire entendre raison à des individus téléguidés, sournoisement conditionnés à juger sans nuances. Prenant le contre-pied, je publiai une revue scatologique, glauque, aux relents caséeux (NDLR : en janvier 1969), qui traînait la magistrature dans la boue la plus « gadouilleuse », ne me privant pas de déféquer sur des hommes, comme je l'ai écrit plus haut, sans dignité et sans honneur. Curieusement, la loi ne fut pas appliquée. Jamais pourtant, dans notre pays, un homme n'avait osé franchir de telles limites. Jamais encore on ne s'était risqué à déverser de telles ordures sur les magistraillons. Enfin, mon affaire vint en audience.

« Pendant que je me prélassais dans un bain chaud, mes collaborateurs, employant une technique que je ne puis révéler ici, firent repousser l'audience. J'avais télégraphié au président du tribunal correctionnel que je ne pouvais me rendre à sa convocation, étant retenu à la foire pornographique de Copenhague. »

Quelque temps plus tard, le général de Gaulle démissionnait. Georges Pompidou, une fois élu, ordonna une amnistie générale. « Son élection me tira des griffes de la justice qui, entre-temps, m'avait envoyé à domicile un nouvel expert psychiatre. »


* Gilles Cormery (1950-1999), peintre et poète tourangeau, fut enfermé à la fin de sa vie en raison d'une « paraphrénie fantastique » particulièrement délirante (les psy de Tours avaient donc vu juste). Remis en liberté, il se consacra à la peinture jusqu'à sa mort hélas prématurée.

Sources : Rapport d'examen psychiatrique par les Drs Ferrant et Fromenty. Micberth, « Pardon de ne pas être mort le 15 août 1974 ».