« A vingt ans, je me voyais vieux, si vieux. J’ai perdu ce sentiment, cette ankylose, je sais moins de choses probablement, à vingt ans je savais tout. » Micberth écrit ces mots en 1982. Il poursuit : « Bon, si je fais bien mes comptes, j’ai probablement pour le mieux vécu la moitié de mon âge et pour le pire... sa quasi-totalité. On me permettra d’écarter le pire et de rêver au mieux. L’espérance de vie d’un homme des années 80 est de soixante-quinze ans, je crois. Je suis contraint de constater avec une certaine amertume, de l’anxiété aussi, que j’ai mangé la moitié de mon pain (...) »


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« Inégalité. La belle vieillesse, faite de beauté physique et de sagesse ; le bonheur d’une vie magnifiquement réussie et remplie. Allez, on sort les mouchoirs, The End vient de se dessiner sur l’écran, on a le cul mouillé par les sueurs profuses, on est ébloui par les lumières, on marche d’un pas incertain à cause des fourmis dans les jambes et on glisse dans la nuit étoilée en se disant « merde que c’est beau la vie ». Notre existence est pleine de ces carottes traîtresses qui nous font avancer en claudiquant, malgré la camarde qui est au bout avec son triste sourire futé, le coude appuyé sur sa faux, la dame blanche...

« Inégalité, car le naufrage n’est bon que pour certains. Tous ne se brisent pas sur les cailloux. La mer démontée fait bander des cacochymes : ils créent, entreprennent, forniquent à l’âge de Mathusalem et moi, trou du cul de trente-six ans, je m’apitoie sur les poils gris de ma barbe et de mes tempes. On reste un vieillard longtemps, à moi de tenir une soixantaine d’années, vieux constitutionnellement.

« L’art d’être grand-papa, érudit, tendre, patriarcal donc utile : « Grand-Papa couvrez-vous, ne prenez surtout pas froid ! »

« Extraordinaire.

« Grand-père fonctionnel, la bibliothèque branlante mais vivante, bien vivante, la culture contre un petit calva, en douce, pour ne pas se faire gourmander par le diafoirus ou par sa vieille compagne quand on a la malchance de l’avoir conservée.

« C’est vrai aussi que nous vivons le temps des mémoires. La vague yéyé avait emporté jusqu’à l’idée de l’âge mûr. La jeunesse divinisée pour la fortune de quelques-uns. Et puis, nous nous sommes retournés vers nos devanciers, avec ce mot très galvaudé qui nous emplit la bouche : « racines ».

« Racines et nous cavalons derrière nos vieux pour les entendre nous raconter autrefois. Nous fouillons leurs malles pour y trouver leurs vieilles nippes. Nous jargonnons leurs idiomes alors qu’enfant, ils nous faisaient gerber avec leur langage écorché, rustique, contondant. Racines et nous espérons nous en tirer comme ça en farfouillant leurs déjections pour y trouver de quoi nous repeindre l’âme.

« Même quand nos vieux puent l’étable, nous nous les imposons à la veillée et tant pis pour les fausses poutres en polyester, cré vinguieux ! Après la mode des vieux, nous retournerons aux yéyés, pleins de nostalgie dégoulinante. »

 

(Micberth, extrait de « Les Soliloques d’un vieux bandeur », inédit)