Dans notre article à propos des vertus de la presse (voir « La presse vertueuse », 5/02/2017), Micberth employait le terme tout-pouvoir. Peut-être serait-il judicieux de développer le « concept », comme on dit aujourd’hui, pour éclairer le marasme actuel. Rien de nouveau sous le ciel de notre beau pays. Seuls les mots changent...

« Pour moi, le tout-pouvoir est composé des hommes politiques influents, des magistrats, des hauts fonctionnaires, des élus locaux, des responsables des administrations, des armées, de la police, etc., des chevaliers de l’industrie, des membres éminents de diverses sociétés plus ou moins discrètes ou secrètes (francs-maçons, rose-croix, etc.) ou des groupements mondains (Rotary club, Lyon’s club...), tous les groupes de pression (lobbies...), ceux que l’on appelle communément les édiles et qui forment une nouvelle aristocratie particulièrement nuisible. Ces personnalités, de familles politiques très différentes, d’intérêts opposés, de philosophies antagonistes, qui se combattent ordinairement, savent se regrouper sous une même bannière, lorsque certains tabous leur paraissent transgressés. Très jaloux de leurs privilèges, et sous le prétexte du bon droit, du bon goût, de la morale, du respect des moeurs et des usages, ils sabrent sans pitié tous ceux qui s’élèvent contre eux, contre leur intérêts. »

Ainsi, lorsque Micberth fut candidat à la présidentielle de 1969 (Voir « Candidat à l’élection présidentielle », 18/12/2016) les Renseignements généraux et le ministère de l’Intérieur s’activèrent-ils pour invalider ses parrainages, pourtant en nombre suffisant (Il n’en fallait que 100 à l’époque) et lui interdire coûte que coûte l’accès à la télévision. « Il s’agissait pour le tout-pouvoir de renforcer son barrage et de porter un coup décisif en adoptant deux techniques distinctes. L’une consistait dans la surveillance permanente de cet insoumis ; l’autre, dans la paupérisation de la mini-société qu’il avait formée autour de lui. Ce fut le temps des délations qui me forcèrent à démissionner des postes de responsabilité que j’occupais. On monta, par de multiples procédés que j’expliquerai par ailleurs, les populations contre moi et contre les amis qui partageaient mes idées.

« Les gendarmes et les services administratifs prêtèrent leur concours et devinrent complices de l'action menée contre nous. J'eus l'honneur d'une table d'écoute sur ma ligne téléphonique et ma propriété fut envahie de discrets micros. Les personnes qui travaillaient avec nous furent incitées à déposer des plaintes contre nos organismes. »

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« Le tout-pouvoir, pour contraindre tel ou tel individu, possède trois armes distinctes : la justice, la presse et la manipulation des masses. Ces trois grands moyens de pression s’interpénètrent parfois, mais le plus souvent restent indépendants les uns des autres. Cela vient du fait qu’ils sont utilisés dans l’histoire de l’individu à abattre, à des périodes différentes. Cette observation n’est pas une vérité absolue ; il arrive parfois, quand la stratégie l’exige, que tous les moyens soient conjugués. L’intérêt de se servir de la justice ne réside pas tant dans l’espoir de condamnation humiliante, que dans le discrédit qui handicapera la victime toute sa vie. Cette marque indélébile suivra l’homme visé où qu’il aille et quoi qu’il fasse. Son dossier de police sera un véritable agent provocateur. Le pouvoir répressif de la presse n’a d’efficacité que si la victime se maintient dans les régions des délations ou des attaques. Cela est vrai aussi pour la manipulation des masses. L’homme à abattre peut, en effet, s’écarter des endroits chauds et refuser l’épreuve de force avec la population. Le véritable intérêt que trouve le tout-pouvoir à la presse, c’est principalement la publicité d’audience, une fois que la justice a rendu son jugement. La manipulation des masses suit. Et comme je le précise, la victime peut toujours exercer sa résistance, poursuivre son combat en d’autres lieux. Inconnu de son voisinage, il sera pourtant tout de suite repéré par les services de police qui auront de lui l’image que laissera la lecture de son dossier. Et comme, neuf fois sur dix le dossier sera truqué, mensonger, on imagine les conséquences d’une telle manoeuvre...

« Les rapports qui s’établiront entre la victime et les autorités seront nécessairement tendus. Celle-ci pourra toujours jurer de sa bonne foi, expliquer les manoeuvres du tout-pouvoir ; rien ne pourra faire admettre sa sincérité. Bien au contraire ! Comment les hommes naïfs qui composent les forces de l’ordre pourraient-ils concevoir que des personnages d’un aussi haut niveau, réputés intègres, soient capables de machinations dignes des imaginations les plus vicieuses ? Quand on sait que les dossiers de police recueillent, en plus des diverses enquêtes, les articles de presse, on comprendra que la victime n’a plus aucune chance de prouver son honorabilité. D’autant que son combat, s’il se poursuit, lui amènera de nouveaux ennuis, donc de nouvelles enquêtes, et probablement des campagnes de presse désastreuses. Petit à petit, le tout-pouvoir disqualifiera sa victime, jusqu’au jour où les forces de l’ordre, ne s’embarrassant plus de convenances, et croyant agir au nom du bon droit, mettront un terme à son existence. »

A relire également : « Un certain 15 août », 15/08/2014 (L'affaire des chèques Pompidou). 

Source : citations extraites de « Pardon de ne pas être mort le 15 août 1974 », rapport de 330 pages dont le dactylogramme, terminé en 1975, annoté, fut imprimé en fac-similé en 1977.