Le hasard nous joue parfois des tours pendables. Exemple, si d’aventure vous recherchez sur Dailymotion la vidéo de Micberth à propos de l’abstention, vous la trouverez derrière un bandeau annonçant : « Élection présidentielle 2017. Suivez toute l’actualité. »

Étonnant, non ?

La tribune « Apologie de l’abstention », diffusée le 3 juin 1977 sur FR 3, fut annoncée dans la presse spécialisée et les journaux quotidiens en ces termes : « Michel-Georges Micberth, directeur du bureau politique de la NDF, fait l’apologie de l’abstention. Il affirme que 93% des électeurs n’ont aucun formation politique sérieuse et tente de démontrer que « le suffrage universel est un leurre ». Quarante ans bientôt...

Une tribune en forme de gifle pour faire réagir le public. « L'apostrophe ordurière au peuple peut s'entendre comme le contre-pied pris de ce qui se pratique ordinairement. En démocratie, le tribun sollicite les suffrages de son auditoire, il se contraint donc au double langage et flatte ceux dont il a besoin. Chez moi, ce souci est absent. Je dis ce que je pense sans me soucier le moins du monde de l'effet négatif produit. Je n'ai rien à vendre. »

Micberth dénonce : « En démocratie indirecte, notre système politique, notre sort, la gestion de la France, l'avenir de nos enfants, etc., passent par l'incompétence notoire de l'électorat majoritaire. »

« Le suffrage universel est une vieille friponnerie qui a la peau dure. Une manière de s'émasculer pour l'éternité. Voter est un non-sens. »

« Sur votre dos, on a construit cette société pestilentielle, moderniste, putassière, où votre seul droit reste le travail pour accéder à un éden en carton-pâte. Une vie de labeur, d’angoisses, de cruelles désillusions, de trahisons, de joies fades, pour finir charogne à l’occasion d’un dernier commerce, d’une ultime magouille : les obsèques. »

« Erreur après erreur, la moitié de votre jeunesse meurt cérébralement à vingt ans, rejoint les rangs du conformisme débilitant et se voue aux profits matériels ; l’autre, vautrée, inculte, mâchonne son désespoir, se drogue et s’autodétruit. »

Viscéralement indigné (avant Stéphane Hessel), comme il le sera tout au long de sa vie, Micberth propose :

« Désobéissez et nous sortirons de ce processus névrotique qui nous mène progressivement à l’anéantissement de l’espèce.

« Désobéissez et les fruits retrouveront leur saveur d’antan, l’eau vive sa pureté et les sites leurs lignes harmonieuses.

« Désobéissez et les villes se videront des véhicules polluants, des cheminées qui crachent la mort pendant que dans l’usine on visse les milliards de boulons du désespoir.

«  (...) Désobéissez et les richesses du passé, notre culture, vous serviront à asseoir les bases d’un devenir excellent, généreux, fraternel.

« Nous devons gommer de nos mémoires ces cinquante dernières années et réapprendre à vivre... »

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Pourtant, en 1981, Micberth appellera à voter Valéry Giscard d’Estaing.  Le 12 mars, l’AFP diffuse un communiqué qui sera repris par toute la presse : « La Nouvelle Droite française appelle ses sympathisants à voter pour Valéry d’Estaing ou à voter blanc, alors que l’abstention est recommandée aux militants du mouvement. « La Nouvelle Droite française demeurera résolument extérieure à ce foirail électoraliste et appliquera comme toujours une tactique d’abstention », déclare M. François Richard, membre du bureau politique dans un communiqué. « Mais à l’adresse de nos sympathisants, poursuit-il, nous recommandons à tous ceux qui se révèlent soucieux d’une certaine efficacité conjoncturelle, de déposer dans l’urne un bulletin blanc ou de voter pour Valéry Giscard d’Estaing. »

« Nous ne contresignons pas à deux mains la gestion libérale giscardienne, mais nous la préférons – et de loin – à l’inexpérience socialo-communiste et au songe sinistre du collectivisme. »

« Ben alors ? », me direz-vous.

Micberth expliquera cette décision dans sa préface au livre « Petite Somme contre les gentils » en ces termes : « La plus grande partie de nos sympathisants ne partagent pas nos convictions sur l’abstention. Ils croient au vote utile. En 1981, nous avons simplement précisé que les instances dirigeantes de la NDF ne voteraient pas, fidèles en cela à la tradition néo-droitiste mais que ceux qui croyaient au vote utile, pourraient sans déchoir offrir leur voix au président sortant.

« Aurais-je été acheté par les tenants de la société libérale avancée ? Certes non, mais en 1979 nous avons connu l’éclosion du phénomène « nouvelle droite ». Cette sortie en fanfare de la crypte a influé sur notre stratégie.

« En quelques mois, l’actualité nous fit risette. Nous vîmes, à cette période, plus de journalistes qu’en vingt ans d’activités militantes. C’est l’un d’entre eux, Allain Rollat du Monde, qui le premier remarqua le cousinage de nos idées avec celles (toutes récentes à l’époque) de certains ministres de M. Giscard d’Estaing.

« Notre action souterraine de dix ans avait enfin porté ses fruits. (...)

« On sait que je n’ai aucun goût pour la démocratie républicaine, aussi je puis affirmer sans crainte d’être suspecté d’allégeance que Valéry Giscard d’Estaing fut le meilleur et de loin (ou le moins mauvais, au choix) président de la République française et cela depuis la chute du Second Empire. 

« Car entendons-nous bien, si je nie la légitimité des institutions de notre pays, je reconnais leur légalité. Que faire d'autre dès l'instant où la force publique est chargée de faire appliquer avec rigueur les lois votées par les représentants élus de la communauté ? Qu'on le veuille ou non, il nous faut admettre que le meilleur technicien de cette chienlit bourgeoise et égalisatrice fut indéniablement Giscard d'Estaing. La manière dont le peuple de France l'a sorti plaide en faveur de ma thèse. »

Interrogé par Bertrand de Saint-Vincent pour un article intitulé « Les rebelles sont parmi nous », Micberth déclarera : « Le premier geste d'une société intelligente serait d'instituer un permis de voter. » (Le Quotidien de Paris, le 2 juillet 1991)

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Quarante ans plus tard, peut-on dire : « l’Abstention, premier parti de France » ? Les chiffres le démontrent en tout cas, pour la plupart des élections, sauf la présidentielle. Les enjeux ont changé, les postulants aussi. Chaque individu reste seul face à ses choix cornéliens.

« L’atmosphère fébrile des élections présidentielles a été perçue comme dans un brouillard matinal, vite réduit par les rayons du pâle soleil d’est ; sensitivement. Inquiets, tout de même, par l’inexorable montée des progressistes, nous avons longuement scruté le cul de nos poules, dans l’attente vaine de la ponte d’oeufs carrés. Mais les volailles ne regardent pas la télévision, ne lisent pas les journaux, n’écoutent pas la radio. Et sous les bruyants caquetages, les oeufs ovoïdes se posaient sur la paille, pas plus à gauche qu’à l’accoutumée. Ouf ! », écrivait Micberth en mai 1974.

Un conseil : soyons vigilants et surveillons nos gallinacés les 23 avril et 7 mai prochains. 

Source : « Petite Somme contre les gentils. Allocutions télévisées 1976-1982 », éd. 1995.