Nous avons déjà évoqué dans l’article « Pour une justice apolitique » l’affaire dite des chèques Pompidou, qui fit de Micberth l’un des rares journalistes mis en prison en France, après la Libération, dans le cadre d’une affaire politique. Après une arrestation rocambolesque par deux brigades de gendarmes armés jusqu’aux dents, le 15 août 1974, Micberth fut conduit à Fresnes où il « résidera » pendant deux semaines. Il en sortira le 31 août 1974, avec les excuses du juge Le Caignec pour « cette incarcération arbitraire ». A la question d’un éventuel téléguidage ce dernier répondra : « Ce n’est pas exactement le mot. Disons que j’ai eu des recommandations. » En 1975, Micberth rédige un rapport où il explique tous les tenants et les aboutissants de cette « affaire » dont la couverture médiatique fut particulièrement diffamatoire et ignoble dès le 19 août 1974 (250 articles connus, mais il y en eut certainement beaucoup plus). Le Canard enchaîné, mal informé et en mal d’inspiration, relaiera l’information de façon très succincte, mais quand même, au cas où...

     Micberth écrit :

      « Un premier press-book hâtivement constitué, m’apprenait l’importance des diffamations. (...).

     « Sous le titre : « Une vraie gaffe de sa petite amie a perdu le faux châtelain qui voulait faire chanter les directeurs de banque », le journal La Montagne avait publié, sur une demi-page, avec photos et encadrés, des immondices que seul un journal vulgaire, se complaisant dans l’ordure, avait pu imaginer. Pour sa part, Le Berry républicain titrait : « Le professeur de sexologie de La Perche, Micberth, aimait trop la vie de château ». Puis, d’autres journaux et d’autres titres. La République du Centre : « Deux maîtres chanteurs détenaient des chèques au nom de Georges Pompidou. » La Dépêche du Midi : « Quatre chèques en blanc au nom de Georges Pompidou ont perdu les maîtres chanteurs ». La Nouvelle République du Centre-Ouest : « Éditeur en quête d’auteurs et écrivain sans œuvres, le poète tourangeau Micberth est inculpé de recel de chèques au nom de Georges Pompidou ». Et encore : « L’extravagante machination imaginée par Micberth n’était pas très au point. Une gaffe de son amie a suffi à la démonter ». La Nouvelle République, édition du Cher : « Micberth en Saint-Amandois, un personnage ». La Dépêche : « Après l’arrestation du châtelain de Marcillat (Allier) deux autres témoins entendus au quai des Orfèvres ». Presse-Océan, sur trois colonnes à la une : « Mystère à Paris autour du recel de chéquiers au nom de Georges Pompidou ». Puis, « Pas très au point le plan de l’escroc aux chèques signés G. Pompidou ». Le Courrier de l’Ouest : « L’affaire des chèques Pompidou. Une tentative d’extorsion de fonds ». L’Union : « Les chèques Pompidou. Une vulgaire affaire de chantage ». Le Journal du Centre : « Le châtelain de Marcillat-en-Combraille était un escroc. Il cherchait à écouler des chèques volés au président Pompidou ». Eclair Pyrénées, trois colonnes à la une : « Des chèques Pompidou, etc. ». La Liberté de l’Est : « Les chèques de G. Pompidou n’ont pas fait chanter sa banque. Les directeurs étaient réfractaires à la musique ». Puis, « L’escroc au chéquier de G. Pompidou ». Le Populaire du Centre : « Les escrocs possédaient des chéquiers au nom de G. Pompidou ». L’Aurore : « Les chèques Pompidou. L’imagination ne paie pas ». La Croix : « Sans doute une banale affaire d’extorsion de fonds et de chantage ». France-Soir : « Une mystérieuse organisation fabriquerait des chéquiers pour compromettre des personnalités ». Le Monde : « Le vol des chèques de G. Pompidou. Une banale affaire d’extorsion de fonds ». Le Parisien Libéré : « Probablement une affaire de chantage », etc.

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     « Seuls, Le Monde, Nord-Matin, La France, Le Télégramme de Brest et quelques autres journaux, s’interrogeaient sur la nature politique de cette affaire. Pour les autres, il était incontestable que j’étais un escroc.

     « Tout, dans le contenu des articles, démontrait la mainmise du pouvoir, dans l’orientation donnée aux informations. Nous avons pu, depuis, nous constituer un press-book presque complet qui comprend environ deux cent cinquante articles. L’analyse comparée de ces documents révèle les différentes sources de délation. Lors d’un rectificatif, publié par L’Est Eclair, ce journal mettait en cause l’Agence centrale de presse. Nous aurions apprécié que les autres supports citent de même les mentions d’origine. Notre principal travail, pendant les mois qui suivirent ma libération, consista à obtenir l’application du droit de réponse prévu par la loi du 29 juillet 1881. Certains journaux s’y conformèrent, avec courtoisie (NDLR. Pas avant le 10 septembre). D’autres restèrent sur leur position, en particulier La Montagne, à qui nous pouvons décerner le prix d’excellence de la délation. »

     Micberth donnera le premier accessit de la bêtise au Berry républicain qui titrera le 24 août, après un article incendiaire paru le 19 : « Il n’y avait vraiment pas matière à un papier sensationnel. » Il attribuera le prix spécial du jury à la Nouvelle République du Centre-Ouest qui le présentera comme « un inquiétant personnage » et « un raté » (Basse vengeance ?).

     « On jugera avec quel sérieux les journalistes qui, pour vendre du papier, se font les auxiliaires de la justice, traitent les informations qui leur sont confiées. N’importe quel homme qui commettrait dans son travail de tels impairs, serait irrémédiablement mis à la porte. Ici, les qualités professionnelles ne comptent guère. On écrit n’importe quoi sur n’importe qui, sans se soucier que ces articles vont être lus par des centaines de milliers de personnes, encore très naïves, qui croient en leur quotidien régional parce qu’on leur a enseigné le respect de la chose écrite. J’aurais pu, le lecteur s’en doutera, multiplier les exemples. J’ai choisi ceux qui me paraissaient les plus significatifs de la mentalité que je me suis efforcé de décrire dans cet ouvrage : la complicité de la presse et du tout-pouvoir. C’est bien dans cette publicité outrancière que se trouve la punition du délit qui m’a été arbitrairement reproché. Il faut une force d’âme à toute épreuve pour se relever d’une pareille aventure. Où que vous alliez, quoi que vous fassiez, vous aurez toujours une bonne âme pour vous brandir sous le nez les saloperies diffusées sur votre compte. Je ne parlerai pas de ceux que l’hypocrisie contraint à agir dans l’ombre, et à vous nuire, sans que jamais vous ne sachiez d’où pleuvent les coups.

     « Lorsque l’anathème est jeté sur un nom, aucune vie publique ne peut se réaliser sans dommage. « Micberth ? Ah oui ! l’escroc du château ! » C’est dit, catégoriquement, définitivement. Et peu importe que vous ayez des enfants et une femme à faire vivre, que vous soyez en fin de compte un honnête homme. Vous n’intéressez plus l’actualité et le préjudice qui vous a été causé ne sera jamais réparé. »

      Ainsi, défendu par Me Georges-Paul Wagner, Micberth se battra 5 ans avec la justice pour obtenir sa relaxe totale. Ce qui n’intéressa pas la presse, on s’en doute. Ah, si, peut-être, Le Monde, qui fit (dix ans plus tard) de cette incarcération un précédent... Je rappelle que cela se passait dans les années 1970. On ne voit pas le temps passer ! 

     (Source : Micberth, « Pardon de ne pas être mort le 15 août 1974 », NDF 1977)  

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