L’été n’est pas fini. Avant de passer aux choses sérieuses, la rentrée, les grèves, les tracas z’annoncés, revenons sur un sujet éternel et frivole. En fait, pas tant que ça, puisqu’il s’agit de l’amour, avec un petit « a », celui des vacances... Le texte qui suit a été publié dans « Actual-Hebdo » le 1er septembre 1973. Oui, mais, me direz-vous, c’était avant Facebook, le burkini, la chasse aux Pokémons, la démission de Macron et tout ça ? Certes. Pourtant, ce texte mérite d’être lu, ne serait-ce que pour le style « mèque », cher à Micberth, qui a consacré Asudam dans ces années-là. Mais pas que... Bien regarder les idées derrière les mots. Sous les pavés, la plage...

 

L’art de baiser le vide

 « Je ferme les yeux et je t’imagine, mon grand, la gambette en l’air dans un bastringue de la côte – peu importe laquelle – avec pour vis-à-vis une jolie pucelle baptisée Brigitte autour des années 55 par des parents cadres moyens, fanatiques alors de Jelly Roll Morton.

« La petite est blonde, le cheveu éclairci par les shampoings à la camomille, les yeux gris-bleu vides d’expression, bordés par un trait turquoise ; elle sent la savonnette et l’anis et tu aimes ses mimiques à contre-mesure et le dérobé de sa chevelure dont les pointes claires marquent le tempo du jerk énergique qu’elle gesticule devant toi.

« Tu sais mon grand, les années passent et au fond, c’est toujours le même truc que l’on perpétue.

« Qu’aurions-nous pas défait pour ces blondinettes à la peau dorée qui puaient à cent pas l’adolescence facile et friquée ? Nous, la lie, les prolos mal ficelés qui n’avions pour seules richesses qu’une culture bâclée et un regard de vieillure revenue d’à peu près tout...

« Ces jeunes femelles se collaient à nous comme pour jouir d’un dangereux mystère ; nous les intriguions vraiment avec notre parler écorché et nos manières nigaudes et dégingandées. Elles venaient vers nous pour s’étourdir de cha-cha-cha et repartaient sans un regard, le cul enfoncé dans la banquette d’une Simca sport – le luxe de l’époque – raccompagnées par leur boyfriend, jeune con pommadé et maniéré, chez papa et maman, tu sais la chouette villa en granit à l’autre bout de la plage principale. Un peu dépités, on se plongeait la trique dans la vulve acide de la barmaid édentée mais accueillante, en songeant aux délices que ces petites gracieuses auraient pu nous procurer et tard dans la nuit, notre piteuse orgie accomplie, par peur des maladies vénériennes, on se frottait la verge au savon rustique de Marseille, sous cette bon dieu d’eau calcaire qui te craquelait la peau des couilles comme le soleil craquèle la fange d’un étang asséché. Et puis, loi de nature, à la fin des vacances, la créature de rêve, un peu bourrée par l’effet des petits vins blancs cassis s’offrait à toi, comme ça sur la plage, en te confessant qu’elle était vierge et effectivement, elle l’était. Alors, en tremblotant de tous tes membres, tu la déflorais avec une bite flasque – l’émotion – et tu t’énervais le tempérament et tu transpirais comme un sportif. La petite salope regardait ça, comme si elle était étrangère à la scène, sans passion, sans murmure, sans affection visible. Bon sang, qu’elle t’apparaissait moins gironde la nymphette, fade sous le clair de lune, méconnaissable avec ses tifs en arrière, le visage plus rond, presque bouffi ; et cette expression navrante d’infinie connerie dans le regard gris-bleu ; et les seins, ton rêve, ils étaient là, sous tes doigts, minuscules et mous et l’haleine de la garce, vin blanc cassis plus humus, écoeurante, et le pubis ridiculement blond, le poil frisotté, sans âme – ah l’âme des poils du cul ! – et la vulve dramatiquement sèche et au goût de savonnette, pouah.

« Des fois, rarement, tu étais chic, tu proposais avant de la sauter : « Allez, tire-toi ! » et la gamine, ô conne, te remerciait..., comme soulagée. (De quoi au fait ?)

(...)

« Nous étions bien gosses et stupides autrefois, loin des choses essentielles et de la tendresse, violemment fixés sur la raison du paraître.

« Combien en avons-nous tringlé de ces pauvres gamines qui sentaient bon la savonnette et pourquoi ? Combien de ces actes manqués avant de savoir rendre une femme pleinement heureuse et coresponsable de l’acte charnel ? Combien de brouillons cochonnés avant de piger que l’enveloppe n’a guère d’importance, avant de laisser les qualités profondes de la femme nous séduire, nous faire goder aux cieux.

« Et après, alors que nous croyions avoir tout compris, tout assimilé, combien de séances de ramonage imbécile avec sous nos corps orgueilleux, ces pauvres filles écumantes de plaisir. Des heures à leur lustrer le trou du con pour leur prouver notre merveilleuse virilité, refusant catégoriquement leurs initiatives timides, nous agrippant aux draps du lit, serrant les dents et baisant de toute notre âme, toujours plus longtemps, toujours plus vite, toujours plus fort, atla atla atla les montagnards, dans mille positions saugrenues et incommodes.

« Pourtant, le plus souvent, soyons francs, nous nous emmerdions mais quelle joie dégueulasse et égoïste d’entendre la petite nous demander grâce, ah, que nous étions donc fiers ! Nous comptabilisions les orgasmes des petites, quatre, dix, trente, bravo de vrais records sportifs, nous levions, alléluia, notre bannière phallique jusqu’à l’Olympe des dieux antiques, nous sentions notre barbe pousser, nous l’entendions même... « Moi, j’ai baisé dix heures sans m’arrêter, si une seule fois pour pisser et toi ? » « Oh, ben dis donc, t’es un as mec, moi je peux pas plus d’une heure ! » Je m’étrangle en pensant à tout ça, surtout à ces filles conditionnées à recevoir sans pouvoir donner. Elles deviendraient de tristes connes égoïstes changeant de partenaire après chaque courte passion. Merde, mon grand, nous étions dangereusement cons !

« Le plus lamentable, c’est que ces jeunes femmes, devenues des mères de famille, nous gardent un souvenir ébloui, tu penses, et elles sont prêtes 15 ans plus tard à nous suivre si le hasard les met de nouveau sur notre chemin, abandonnant pour ce faire, mari et gosses. Beurk !

« Je te dis cela mon grand pour que tu évites au mieux de tes pouvoirs d’assurer ta condition virile sur la naïveté de la jeune fille, car tu la détruirais à tout jamais. Le bonheur incontestable que tu lui donnerais sur l’instant, elle le paierait peut-être toute sa vie. Comprends-tu ?

(...)

« Plus tu guerroieras la bite en avant et plus tu t’enliseras dans une personnalité de mauviette. Pas confondre la masculinité et la virilité, hein ? « Oui, c’est bien joli tout ça, Asu, mais les gonzesses me disent le contraire. » Mouais et bien ça mon grand, permets-moi de te dire que les gonzesses que tu fréquentes ne sont plus très fraîches et puis ça tombe sous le sens, grande gourde, les femmes comme les hommes préfèrent le moindre effort et au départ, certes, tu risques de rencontrer quelques difficultés – de toute façon, c’est un bon moyen de sélection. Pari tenu que ta petite compagne te sera reconnaissante de lui laisser la bride sur le cou et c’est là que tu deviendras à ses yeux le vrai mâle grand et généreux et tout ce que tu rêves de devenir, saucisse prétentieuse. Et si les difficultés demeurent, envoie-moi donc, mon grand, ta jolie compagne et je lui donnerai les premiers cours pratiques qui seront, dans le présent et l’avenir de la plus grande utilité pour vous deux. Je peux pas te dire mieux. Alors pigé ? Range ton outil coquin et laisse faire les dames, tu m’en diras des nouvelles ; et vous mes adorables lectrices : au boulot sales feignantes !

« Je vous embrasse bien fort. »

(Micberth-Asudam in Actual-Hebdo n° 33. Extrait de l’article paru le samedi 1er septembre 1973)

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NDRL. Le titre donné à cet article dans Actual était « Ah, la belle amour ». Micberth l’a changé pour une parution dans un recueil à paraître intitulé « Les Vociférations d’un ange bariolé » qui verra bien le jour un de ces quatre...