10 mars 1998. Micberth a noté sur son agenda : « Rencontre avec Bob Denard. Trois axes : – Livres sur son histoire. – Comité de soutien. – Mémorial. » Ce sont les trois principaux sujets qu’ils doivent aborder lors du déjeuner. Ils ont longuement parlé au téléphone à plusieurs reprises auparavant, mais c’est là leur première rencontre, en Picardie, chez Micberth (qui a refusé de se rendre à Paris, chez les « sauvages »). Une rencontre particulièrement chaleureuse, ponctuée de bons mots et d’éclats de rire hénaurmes. Bob attend alors la sortie de son ouvrage « Corsaire de la République » prévue le mois suivant chez Robert Laffont, « un récit sans dissimulation, où l’on découvre un homme qui a cru en la force de l’engagement, de la fidélité et de l’honneur », lit-on en quatrième de couverture. Micberth publiera quelques mois plus tard une critique du livre de son ami.

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« L’ouvrage que Bob Denard vient de faire paraître chez Laffont, en collaboration avec Georges Fleury, sous le titre « Corsaire de la République » est un excellent bouquin d’été. Il relate la vie « exemplaire » de ce baroudeur des terres et des mers, de sa naissance, le 7 avril 1929 à Bordeaux, jusqu’à la publication de son dernier livre. Si Bob Denard est un aventurier de l’extrême, ce texte nous apprend qu’il est tout sauf un extrémiste. (...)

« C’est au milieu des années 60 que j’ai découvert par la grande presse l’existence d’un aventurier belge (sic) qui fascinait les journalistes, indisposait l’ONU, faisait sourire les « rantanplan », excitait les réservistes et pour qui les petites amies des prochinois se pâmaient. Alain Camille, qui se rendit célèbre dans la Série noire, quelques années plus tard, avec trois initiales : A.D.G., me parlait très souvent avec emphase de ce Denard qu’il admirait presque autant que Jean Lartéguy. Il est vrai que cet homme suscitait en nous d’étranges sentiments. A cette époque, les jeunes intellectuels de notre pays abandonnaient progressivement les idées bellicistes pour un pacifisme fourre-tout qui commençait à bêler. Malgré cela, ce « chien de guerre », par je ne sais quelle magie de l’image et du texte, réveillait nos instincts guerriers et notre goût de l’exotisme.

« Nous sortions d’une époque où notre pays avait été humilié et occupé, nous méprisions l’armée pour ses échecs en Indochine et en Algérie, et pensions que les vrais résistants étaient morts. Il nous restait ces flots de vieillards béquillants à béret basque qui se groupaient comme des moutons, le poitrail couvert de bimbeloterie, autour des monuments aux morts, équipages qui ajoutaient à notre nausée des vieux. Enfin, au dessus de cette soldatesque au garage, un guerrier, un vrai, qui choisissait ses chefs, se battait selon les règles de son courage, héros maudit par l’ordre du monde et qui flanquait le feu aux quatre coins de la planète !

« Le Black Mask et les westerns de série B, Humphrey Bogart au cinéma, nous avaient préparés à cette « douce complicité » avec des personnages hors du commun, chevaliers de l’impossible, bringuebalés par les violences et les hasards de la vie, et qui n’existaient que pour l’aventure, rien que l’aventure. Ils aimaient les femmes, la fidélité à leurs instincts, l’amitié rude des hommes. En secouant leurs bottes poussiéreuses, ils pissaient sur les lois et tutoyaient Dieu en se grattant énergiquement la sous-ventrière.

« Bien sûr, tout cela relevait d’une foncière naïveté de notre part, mais a-t-on le droit d’être aigri à vingt ans ? Dans une France dominée par la haute stature du général de Gaulle, peuplée de chevaliers « braillards », Bob Denard nous apparaissait comme un seigneur anomique. Il n’était pas le papa au ventre rond et à l’haleine courte, ni le beauf’ capable de représenter Nasser à la fin des repas de communion avec un poing serré, deux boutons de braguette et une serviette de table. Il n’était pas le pékin vulgaire qui servira de repoussoir et de levier aux agités de Mai 68, mais le héros qui sortait tout frais et tout neuf d’un passionnant livre d’aventure.

« Et c’est bien ce que nous propose aujourd’hui, en 448 pages, Fixot, chez Robert Laffont. Un récit qui commence à Grayan dans le Médoc où le solide gaillard Robert travaille à la ferme et dans les bois, et qui ne sait pas encore qu’il deviendra une légende mondiale et un sacré phénomène médiatique.

« Comme je l’ai dit plus haut, chacun pourra découvrir au fil de sa lecture : la Libération, l’engagement de Bob dans la Marine, sa première blessure par l’explosion d’un GMC, ses friponneries extrême-orientales, son séjour aux Etats-Unis, le policier du Maroc mêlé de loin à un attentat contre Mendès France (quatorze mois de prison quand même), le début des luttes contre le terrorisme, un premier acquittement, le Katanga, le Yémen, le Zaïre de Moïse Tshombé, le général Mobutu alors commandant en chef de l’armée nationale congolaise, la première blessure grave à Kisangali (qui fera dire à un imbécile de ma connaissance que depuis cette époque, Bob aime faire toucher son trou de balle), le Biafra où Denard apparaîtra pour la première fois comme un mercenaire de la charité, le Kurdistan, la Libye, l’Angola, le Bénin qui lui vaudra de gros ennuis... et j’en passe mille et des meilleures...

« Qui est Bob Denard ? Question complexe. L’homme tutoie les soixante-dix printemps avec une allure et une vitalité de baroudeur de la cinquantaine épanouie. Il a une belle gueule, une claudication qui ajoute à la personnalité du vieux chef colonial. J’aime bien qu’un curé ressemble à un curé, qu’un notaire soit chauve et rond, et qu’une pute ne s’attife pas en marquise pour se la jouer. ça me rassure... Bob porte beau, il a la tête de ce qu’il est. C’est déjà bien, je suis las des séducteurs qui sentent l’étable et des baroudeurs que l’on croit sortis tout droit de chez Michou. Chez Bob, la poignée de main est ferme, il est chaleureux et réservé. Il donne une impression de solidité. On sent qu’il a beaucoup aimé les femmes, qu’il les aime et qu’il les aimera post mortem. Aujourd’hui c’est presque un anachronisme de dire ça, en tout cas une singularité.

« Quand on aime Bob Denard (on aura compris que je ne le déteste pas), c’est en bloc, entièrement comme lui-même est entier. Pourtant, je me permettrai quelques critiques, au risque de me faire à nouveau enguirlander par le colonel. Si le livre est incontestablement une réussite, un chouette moment d’évasion, il pèche néanmoins de deux façons. La première est de vouloir nous faire accroire la dimension progressiste de l’aventurier. La deuxième est de révéler sa participation, même très éloignée, aux attentats contre Mendès France et le général de Gaulle. Quelques semaines avant les assises pour le meurtre du président Abdallah des Comores, c’est pour le moins irresponsable ou relève d’une tragédie qu’un savant procédurier devrait bien m’expliquer. La concession progressiste, c’est cette manière haïssable de vouloir justifier tous ses actes par la morale fourre-tout à la mode. Ça me fait penser à ces westerns dans lesquels le fils indigne, de nationalité mexicaine, vient avec toute sa bande pour voler, égorger, violer la mère. En enfonçant doucement son poignard dans la gorge de la pauvre femme terrorisée, il lui dit : « Tou vas êtes contente, madre, pour té touer, yé mis mon costoume dou dimance ». (Micberth in Histoire locale, printemps 1998)

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