10 mars 1998. Micberth a noté sur son agenda : « Rencontre avec Bob Denard. Trois
axes : – Livres sur
son histoire. – Comité de soutien. – Mémorial. » Ce sont les
trois principaux sujets qu’ils doivent aborder lors du déjeuner.
Ils ont longuement parlé au téléphone à plusieurs reprises auparavant, mais c’est
là leur première rencontre, en Picardie, chez Micberth (qui a refusé de se
rendre à Paris, chez les « sauvages »). Une rencontre
particulièrement chaleureuse, ponctuée de bons mots et d’éclats de rire hénaurmes. Bob attend alors la sortie de son ouvrage
« Corsaire de
« L’ouvrage que Bob Denard vient de faire paraître chez
Laffont, en collaboration avec Georges Fleury, sous le titre « Corsaire de
« C’est au milieu des années 60 que j’ai découvert par la grande
presse l’existence d’un aventurier belge (sic)
qui fascinait les journalistes, indisposait l’ONU, faisait sourire les « rantanplan
», excitait les réservistes et pour qui les petites amies des prochinois se
pâmaient. Alain Camille, qui se rendit célèbre dans
« Nous sortions d’une époque où notre pays avait été humilié et occupé, nous méprisions l’armée pour ses échecs en Indochine et en Algérie, et pensions que les vrais résistants étaient morts. Il nous restait ces flots de vieillards béquillants à béret basque qui se groupaient comme des moutons, le poitrail couvert de bimbeloterie, autour des monuments aux morts, équipages qui ajoutaient à notre nausée des vieux. Enfin, au dessus de cette soldatesque au garage, un guerrier, un vrai, qui choisissait ses chefs, se battait selon les règles de son courage, héros maudit par l’ordre du monde et qui flanquait le feu aux quatre coins de la planète !
« Le Black Mask et les westerns de série B, Humphrey Bogart au cinéma, nous avaient préparés à cette « douce complicité » avec des personnages hors du commun, chevaliers de l’impossible, bringuebalés par les violences et les hasards de la vie, et qui n’existaient que pour l’aventure, rien que l’aventure. Ils aimaient les femmes, la fidélité à leurs instincts, l’amitié rude des hommes. En secouant leurs bottes poussiéreuses, ils pissaient sur les lois et tutoyaient Dieu en se grattant énergiquement la sous-ventrière.
« Bien sûr, tout cela relevait d’une foncière naïveté de notre part, mais a-t-on le droit d’être aigri à vingt ans ? Dans une France dominée par la haute stature du général de Gaulle, peuplée de chevaliers « braillards », Bob Denard nous apparaissait comme un seigneur anomique. Il n’était pas le papa au ventre rond et à l’haleine courte, ni le beauf’ capable de représenter Nasser à la fin des repas de communion avec un poing serré, deux boutons de braguette et une serviette de table. Il n’était pas le pékin vulgaire qui servira de repoussoir et de levier aux agités de Mai 68, mais le héros qui sortait tout frais et tout neuf d’un passionnant livre d’aventure.
« Et c’est bien ce que nous propose aujourd’hui, en 448 pages, Fixot, chez Robert Laffont. Un récit qui commence à Grayan dans le Médoc où le solide gaillard Robert travaille à la ferme et dans les bois, et qui ne sait pas encore qu’il deviendra une légende mondiale et un sacré phénomène médiatique.
« Comme je l’ai dit plus haut,
chacun pourra découvrir au fil de sa lecture :
« Qui est Bob Denard ? Question complexe. L’homme tutoie les soixante-dix printemps avec une allure et une vitalité de baroudeur de la cinquantaine épanouie. Il a une belle gueule, une claudication qui ajoute à la personnalité du vieux chef colonial. J’aime bien qu’un curé ressemble à un curé, qu’un notaire soit chauve et rond, et qu’une pute ne s’attife pas en marquise pour se la jouer. ça me rassure... Bob porte beau, il a la tête de ce qu’il est. C’est déjà bien, je suis las des séducteurs qui sentent l’étable et des baroudeurs que l’on croit sortis tout droit de chez Michou. Chez Bob, la poignée de main est ferme, il est chaleureux et réservé. Il donne une impression de solidité. On sent qu’il a beaucoup aimé les femmes, qu’il les aime et qu’il les aimera post mortem. Aujourd’hui c’est presque un anachronisme de dire ça, en tout cas une singularité.
« Quand on aime Bob Denard (on aura compris que je ne le déteste pas), c’est en bloc, entièrement comme lui-même est entier. Pourtant, je me permettrai quelques critiques, au risque de me faire à nouveau enguirlander par le colonel. Si le livre est incontestablement une réussite, un chouette moment d’évasion, il pèche néanmoins de deux façons. La première est de vouloir nous faire accroire la dimension progressiste de l’aventurier. La deuxième est de révéler sa participation, même très éloignée, aux attentats contre Mendès France et le général de Gaulle. Quelques semaines avant les assises pour le meurtre du président Abdallah des Comores, c’est pour le moins irresponsable ou relève d’une tragédie qu’un savant procédurier devrait bien m’expliquer. La concession progressiste, c’est cette manière haïssable de vouloir justifier tous ses actes par la morale fourre-tout à la mode. Ça me fait penser à ces westerns dans lesquels le fils indigne, de nationalité mexicaine, vient avec toute sa bande pour voler, égorger, violer la mère. En enfonçant doucement son poignard dans la gorge de la pauvre femme terrorisée, il lui dit : « Tou vas êtes contente, madre, pour té touer, yé mis mon costoume dou dimance ». (Micberth in Histoire locale, printemps 1998)