Un budget de 4 millions d’euros vient d’être dégagé pour aider les journaux dits « essentiels à la vitalité de la démocratie », qui tirent moins de 25% de leurs revenus de la publicité, à condition qu’ils n’aient pas été condamnés pour « incitation à la haine ou à la violence ». Suivez mon regard... Les « gentils », on les connaît, les « haineux » aussi. Astuce imparable destinée à mettre quelques titres en difficulté, au hasard « Minute », « Valeurs actuelles », « Rivarol ». Pas d’bras, pas d’chocolat. La méthode, si elle revet divers aspects, n’est en fait pas nouvelle. Micberth s’en plaignait déjà dans les années 1970. Ecoutons-le :

 « S’il est une aventure humaine dont je puisse être légitimement fier entre toutes, c’est celle que nous avons vécue en éditant « Actual-Hebdo ». Je garde pour cet hebdomadaire une tendresse toute particulière, et ce n’est pas sans émotion que je vous conterai son histoire.

« J’avais toujours tenu à transmettre oralement ma philosophie et mes idées politiques, imitant en cela les sophistes dans l’acception positive du terme. Bien sûr, j’avais publié, dans le passé, de nombreux journaux incendiaires, mais jamais comme dans « Actual-Hebdo » je n’avais pu m’exprimer avec autant de liberté, et surtout dans le style que le service de recherche de l’école de Tours avait mis au point, dans les années 60. Cette façon spécifique de mélanger au français orthodoxe une langue approximative, argotique et technique, fut une véritable révolution dans l’évolution de notre langue. Reprise par les groupuscules gauchistes, la presse parallèle, certains écrivains, puis par les journalistes de la grande presse, elle perdit, avec l’utilisation fréquente qui en fut faite, ses mentions d’origine. D’autant qu’elle bénéficia d’une véritable génération spontanée dont le plus brillant représentant fut, sans conteste, François Cavanna, directeur d’« Hara-Kiri » et de « Charlie Hebdo ». Pour la première fois depuis de nombreuses années, nous avions avec ce support la possibilité de régler nos comptes. En quarante numéros, « Actual-Hebdo », d’audience discrète (10 000 lecteurs) bouleversa les principes traditionnels de la presse française. Il nous suffisait d’employer un néologisme ou de philosopher de manière particulière pour que la grande presse reprît dans l’un de ses éditoriaux nos créations, et cela bien sûr, sans nous citer. Seule la date du dépôt légal nous permettait d’avancer nos prétentions avec des preuves concrètes.

« (...) Le 19 mai 1973, six mois après sa parution, sous le titre « Comment faire intellectuel sans avoir la migraine », je dénonçai, avec le style mèque qui plaisait à mes lecteurs, les pressions dont nous étions les victimes.

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« Ran tan plan. ça devait arriver. C’est là, derrière le pont-levis, entre les pâquerettes et la motte de terre soulevée par le nez, sniiifff, de la taupe bigleuse : une légion, peut-être moins (j’exagère toujours). LES FLICS !

« Nous z’avaient laissés pourtant bien tranquilles dans cette atmosphère moite et rassurante de l’impunité. Mais hé hé hé hé et non, décidément nous les passionnerons toujours autant ! Yeah ! J’abuse des onomatopées, mon vice.

« Depuis vingt ans, je marche, slap, slap, les yeux bandés, sur une corde raide, avec de chaque côté et bien en-dessous, les bras tendus des pandores. C’est un exploit. Aurai-je une médaille ? Pourrai-je seulement la solliciter ? (chants grégoriens)

« Flash back, Asudam story. Mettons-nous bien d’accord. Moi là, toi là. Cela ne veut pas dire que je suis un monsieur malhonnête. Bien au contraire. Je serais plutôt le genre cucul bourré de principes. Mais les pouvoirs publics n’aiment pas ma façon de causer ou de vivre. Rhâaaaa, je leur fais peur… Les mécanismes et lois qui régissent mon existence ne sont pas clairs pour eux. Ah. Alors on me cherche. Nib. On ne trouve rien, et on dit : « ça sera pour la prochaine fois ». Reste assis ! Gigote pas. D’aucuns appellent ça « les tracasseries policières ». Je veux bien.

« En fait, il faut remonter à plus de dix ans pour comprendre cette persévérance judiciaire. Je dis ça vite : un contexte révolutionnaire tic tic, une quarantaine de personnes tac tac, des dossiers de police toc toc, des enquêtes souvent avortées tuc tuc, des non-lieux sbling, quelques inculpations scriss scriss, quelques condamnations, des amnisties et un grand mystère. Voilà l’inventaire. Stop !

« Je vous ai déjà dit, je crois, que notre journal était rédigé à Montluçon, administré jusqu’à ces dernières semaines à Limeray, imprimé dans la Sarthe et routé dans le Saint-Amandois. Beau losange !

« Première enquête policière à Limeray ; deuxième enquête à Saint-Amand-Montrond ; troisième enquête dans la Sarthe ; quatrième enquête effectuée par le commissaire principal de Montluçon, à Montluçon.

« Que d’honneurs pour un si frêle journal !

« Chaque enquête a nécessité, ouaiche, un déplacement des forces de l’ordre avec interrogatoire siouplaît, et déposition. Nous voilà bien du remords ! Combien de pèze coûtons-nous aux contribuables qui paient ces fantaisies policières ? Et derrière tout ça, bien cachés au fond de la huche à pain, la même équipe de magistrats qui n’ont jamais digéré nos privautés d’antan. Nous les avions copieusement traînés dans la merde, c’est vrai, ha ha, et ils s’offrent aujourd’hui une petite vengeance mitonnée. (...) »

Micberth poursuit : « Cet extrait d’article montre à quel point nous étions surveillés. Le commissaire de police, Roger Gianola, de la Direction générale de la police nationale, nous enjoignit de livrer les noms et adresses de nos collaborateurs. Nous refusâmes. Nous nous étions fixés au moins cinquante numéros, et au vingt-troisième, les persécutions policières étaient déjà insoutenables. Il nous fallait tenir encore six mois. Nous craignions surtout les décisions de la Commission paritaire qui nous avait inscrits sous le n° 53227. On sait que cette commission permet principalement les exonérations postales, et que sans elles, un journal non diffusé en kiosque, qui vit de ses abonnements, ne peut subsister. Ces avantages nous avaient été consentis pour une année. Mme Graude, la secrétaire de la commission, nous fit parvenir, le 30 octobre 1973, une prolongation de deux mois.

« Les pouvoirs publics, qui n’avaient pu nous toucher légalement, téléguidèrent le directeur des Postes de Montluçon, qui jura la perte de notre journal. Sous le titre « Le directeur des PTT de Montluçon nous cherche des poux dans la tête », la rédaction de notre journal dénonça, dans son dernier numéro ce grenouillage.

« Il fallait s’y attendre... Montluçon, bien que fief des Bourbons, est une bien petite ville. L’odieuse police de Pompidou qui brille plus par son impunité et ses négligences que par sa hargne à réduire les mauvais garçons, s’est crue autorisée à exercer des pressions sur les responsables des administrations en place. Pression n’est peut-être pas le mot juste, nous dirons plutôt conseil avisé ou recommandation glacée, et depuis quelques semaines, de vilains bruits circulent dans la bonne ville sur notre vertueuse organisation. » (...)

« Le numéro 40 fut bloqué et l’envoi impossible. Les PTT avaient reçu des consignes, et nous, une lettre du secrétaire général de la Commission paritaire, en date du 21 janvier 1974 (n° 73215). »

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Qu’annonçait ce courrier ? En substance, la suppression du numéro d’inscription d’« Actual-Hebdo » à la Commission paritaire, au motif fallacieux que le journal « ne remplissait pas les conditions prévues à l’article 72, 4°, de l’annexe III du code général des impôts » concernant la place de la publicité dans un journal.

« (...) Notre journal avait mené une campagne très humoristique sur les bouffissures de Georges Pompidou et avait soulevé, par ses révélations, beaucoup de lièvres. De plus, un véritable mouvement structuré s’organisait autour de notre feuille. Il n’était pas possible au tout-pouvoir de laisser vivre officiellement cette force montante.

« Bien sûr, le ministère de l’Intérieur aurait pu nous interdire. Mais ses fonctionnaires n’ignoraient pas que nous utiliserions cette interdiction à des fins publicitaires et que nous ferions paraître, sans délai, sous un autre titre, un hebdomadaire identique. Il fallait donc trouver une solution qui nous étranglerait et nous ferait périr, en évitant à tout prix le scandale. On nous savait fort pauvres, et en pleine période de promotion. En nous supprimant les avantages de la commission paritaire, on mettrait fin à notre existence. Les sommes consacrées à nos envois seraient multipliées par vingt-deux. De 0,7 centime, nous passerions à 15 centimes pour un exemplaire routé. Aucune entreprise, aussi solide soit-elle, ne peut multiplier une partie de ses dépenses par vingt-deux. Nous dûmes donc céder à la pression, stopper net notre parution et rembourser en fin d’exercice nos abonnés. Les stocks de papier que nous avions prévus pour notre exercice 74, nous restaient sur les bras. Catastrophe d’ordre moral à laquelle s’ajoutèrent, bien sûr, de sérieux ennuis de trésorerie.

« Le tout-pouvoir pouvait être fier de sa victoire, car, du jour au lendemain, il nous avait coupés de nos sympathisants qui étaient disséminés dans toutes les régions de l’hexagone. Nous étions en janvier 1974, et nous nous approchions à grands pas de l’affaire des chèques Pompidou. Des milliers d’heures de travail, beaucoup d’espoir et d’amour étaient réduits à néant à la suite d’une décision particulièrement arbitraire, autant qu’injuste et stupide. »

 

Extrait de Pardon de ne pas être mort le 15 août 1974, chapitre « Un journal qui dérange », (archives NDF 1977) et du journal « Actual-Hebdo » n° 23, 19 mai 1973 et n° 40, janvier 1974.