Est-on en train de sonner l’hallali de Jean-Marie Le Pen qui déclare pourtant que la bête est toujours vivante ? Quel est le plus terrible : perdre un être cher ou se faire tuer par les affidés de ce dernier ? Etre viré de chez soi ? Etre convoqué devant les « instances disciplinaires » d’un parti que l’on a porté sur les fonts baptismaux ? Etre invité à « ne plus parler au nom » de ce parti ? Passer pour un vieillard sénile, afin de clore le débat ? Il y a de quoi être fatigué et baisser les bras.

Micberth écrivait en avril 1985 : « Que c’est pompeux de dire « ennemis » mais il faut bien dire les choses comme elles sont. Mes ennemis, fort nombreux, au cours d’une vie riche en événements, n’auront réussi ni à me faire plier, ni à m’abattre. A quoi bon se salir les mains quand il y a une destinée pour cela et d’inconscientes taupes ? Mon trépas reviendra – si je baisse les bras – à ceux que j’aime et qui ont dit hier m’avoir aimé. Quel paradoxe ! »

Pourquoi, en dépit d’amis communs (Je pense en particulier à ce cher Maître Georges-Paul Wagner qui défendit les deux hommes), les chemins de Micberth et Le Pen (bretons de souche) ne se sont-ils jamais croisés ? Tout simplement parce que l’un et l’autre n’avaient pas la même vision de la droite et que rien ne pouvait les réunir. Le premier la voyait « aristocratique », le second « populaire ». Le Pen défend les valeurs républicaines tandis que Micberth combattait la République « bâtie sur les cadavres de centaines de milliers de Français ».

Rappelons-nous cette définition très claire de Micberth : « La droite est aristocratique, bougres d’ânes, fermée, hostile, sauvage, sûre d’elle-même, ironique, égoïste ou généreuse selon son intérêt, savante, aventurière, héroïque. Elle ne se reconnaît pas dans les bourgeois englués dans la peur, dans les petits vieux frileux, les travailleurs chrétiens à l’esprit civique, les militaires infantiles aux oripeaux chamarrés, oncques, mais dans les fauves aux dents de granit, ceux qui bâfrent avec les dieux païens, qui jonglent avec vie et mort pour l’honneur ou le plaisir, ceux qui ne composent pas, qui ne renient rien, qui incarnent chaque jour la grandeur, la force, le plaisir. » (« Le Nouveau Pal », n° 14, septembre-octobre 1982)

Et voyons maintenant comment il démolit allègrement la droite populaire : « La droite populaire a du ventre, pue de la gueule, habite dans des pavillons encaustiqués et enclos, à patins pour les parquets et à chiens méchants pour la trouille ; diffuse des lieux communs, moralise, cancane, voue un culte sacré au bon sens, approuve l’armée et l’applaudit ; suce le gendarme, lapide la créature, attache les mains de ses enfants et encule la bonne avant de la congédier sans indemnités après avoir porté plainte contre elle pour vol d’argenterie.

« La droite populaire a des varices, elle aime l’ordre, le mauvais goût ; elle regarde derrière ses rideaux et compte attentivement la monnaie que lui rendent les commerçants ; ses livrets de Caisse d’épargne sont pleins, quand elle parle de ses produits d’entretien, elle les « pronom-possessive » ; elle entrebâille vingt ans après les autres sa porte à la lubricité. Et elle en use puis en abuse.

« La droite populaire vénère les peaux d’âne, les sinécures, l’apparat, elle applaudit à la peine de mort ; elle est bêtement antisémite, fasciste, nazie. Elle flatte le fort, le glorieux, le puissant, elle chie sur le faible ou elle lui fait l’aumône et toujours en fanfare. » (« La Lettre », avril 1985)

 Je n’étonnerai personne en précisant que Micberth n’avait pas que des amis... et notamment au FN. Il appréciait néanmoins le talent de tribun de Jean-Marie Le Pen, son érudition, son humour, son sens de la formule. Il écrit en 1984 : « Comme beaucoup, j’ai apprécié la grande prestation télévisée de Le Pen et son succès aux élections européennes. C’est un acteur né, un Marchais haute gamme. Nous avons besoin de ces tribuns mascottes, un peu dérisoires dans leur acharnement idéologique. Cela nous change des sucreries des énarques qui d’ordinaire confiturent nos tympans.

« Je suis plus tiède quand je lis les discours de Le Pen, quand je l’entends chantonner du Montand ou hardrocker avec mademoiselle sa fille. »

Il s’agit bien de la petite Marine, qui est alors une charmante enfant de 16 ans. Elle entrera en politique deux ans plus tard.

Micberth poursuit : « Je suis froid quand il remue à la tribune les vieux démons de la France franchouillarde : par exemple, le bellicisme du passé qui aurait donné plus au patriotisme naturel qu’aux Schneider du Creusot.

« Je suis glacé quand je feuillette les curriculum vitae de sa garde blanche.

« La soudaine et divine notoriété dont jouit Le Pen l’amollira, c’est vrai, mais elle radicalisera certains membres de son entourage.

« Son destin se réalise mais efface du coup le destin de ses suivants. On attrape les mouches avec du vinaigre, dit-on, tout comme on émasculera le leader du Front national avec les feux de l’actualité. Les sunlights n’éclairent que le champion de La Trinité-sur-Mer. Les ambitieux de son parti ne se résigneront pas très longtemps à jouer les faire-valoir dans les zones d’ombre portée du Maître.

« Je les connais. Je sais leurs appétits de fauves. Leur indiscipline coutumière. Il suffit de bien se pénétrer des extravagantes articulations de l’extrême droite française et cela depuis trente ans, pour en être sûr.

« Il fallait donner la parole à Le Pen. Il l’a. Ce sera un des seuls mérites de la gauche. La démocratie a toujours eu peur d’être démocrate. En muselant les singularités, on crée les extrêmes, on génère l’activisme aveugle et meurtrier. » (« La Lettre », octobre 1984)

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Quand on parcourt l’histoire du Front national et qu’on aborde par exemple la scission de Bruno Mégret en 1998, on comprend parfaitement ce que Micberth annonçait. Peut-on dire aujourd’hui que l’histoire repasse les plats et que c’est encore l’ambition qui anime ceux qui combattent Jean-Marie Le Pen ? Laissons de côté sa fille (Une affaire de famille. Cela ne nous regarde pas.) et regardons simplement s’agiter les « bras droit ou gauche » de celle-ci. Les dents de ces beaux messieurs sont longues, elles rayent le parquet.

JMLP fut l’un des plus jeunes députés de la législature (si ce n’est le plus jeune). Il totalise près de 60 ans de vie politique. Comment peut-on le reléguer au zoo des politiques fatigués ? Sa manière de fonctionner fut et reste la provocation, car il pense que c’est ainsi que les choses bougent et c’est là un grand point commun avec Micberth qui écrit en 1983 (C’était « avant ») : « (...) Ma vérité, constamment confirmée par les faits, mérite l’attention du lecteur quand même serait-il choqué par la violence du ton et de la forme. » Jean-Marie Le Pen a-t-il menti, volé, trahi le parti qu’il a construit de ses pauvres mains calleuses ? Non, son style ne plaît plus, c’est tout. Sa provocation verbale est assimilée à « un acte de malveillance ». Il n’est plus dans l’air du temps. Il est hors système. Demain, il sera face à ses juges. Et pourquoi pas l’abandonner sur la banquise, comme tous les vieillards encombrants ? Après tout, ce serait une solution pour faire de la place. Seulement voilà, la banquise est en train de fondre. Pauvres de nous !

Source : La Lettre de Micberth, éd. 1986.