Thiers.jpgEn 1976, afin de couper court aux diverses étiquettes qui étaient collées à son mouvement, Micberth explique, (notamment dans le journal Le Monde1) que la Nouvelle Droite française prend ses sources « dans l’anarchisme et le monarchisme, ce qui, a priori, pour les âmes simples, peut paraître contradictoire et prêter à confusion ». Donc, afin que nul n’en ignore, je livre dans son intégralité l’un de ses textes, très explicite, datant d’une quarantaine d’années. Faisant suite à une interrogation de Camille, plus connu sous le nom d’A.D.G.2 l’article s’adressait à icelui et fut publié dans le dernier numéro du journal Actual-Hebdo (n° 40), en janvier 1974. Et le hasard étant un petit facétieux, je redécouvre en première page d’Actual un dessin de Bernos qui met en scène Cavanna3 en bisebille avec Delfeil de Ton à Charlie Hebdo. Toute ressemblance avec des personnes, etc.

Moué le roué 

« Mon cher Camille,

« Thiers, qui n’est pas spécifiquement une référence, disait : « La République française finira dans la boue et le sang. » Thiers avait vu juste. Nous pataugeons aujourd’hui dans la boue, et nous baignerons peut-être demain dans notre sang. Car ne pas suivre coûte que coûte le sens de l’Histoire expose les dissidents aux pires répressions.

« Et ce serait quoi au juste « le sens de l’Histoire » ? La justice sociale ? L’égalité devant l’Etat souverain ? Le progrès économique et social ?

« L’avènement d’un état socialiste dépend de la course à laquelle se livrent, dans les périodes pré-électorales, la gauche et le centre-droit, pour mieux ou bien satisfaire les revendications (en promesses ou en décrets, selon que les partis détiennent le pouvoir ou non) des Français, et plus exactement les revendications des travailleurs.

« Dans cette optique, le premier qui promet bien, ou qui donne à temps, touche. On flatte le peuple, on déraisonne, et on produit le merveilleux auquel les rustres ne pensaient pas, merveilleux qui devient par le talent des tribuns, le strict nécessaire auquel chacun a droit.

« Par quels procédés malins, depuis la fin de la monarchie absolue, une poignée d’hommes animés par les mêmes ambitions, a-t-elle la prétention de disposer de la conscience individuelle des hommes et de leur espérance d’exister au meilleur de leurs goûts, de leur morale ou de leur volonté ?

« Il est en effet aisé, en démocratie, de canaliser le mécontentement des médiocres qui sont légion, et d’agiter devant leurs yeux d’ânes la carotte des soi-disant réformes sociales.

« Car entre les légitimes et les hommes de bonne volonté, il y a cette masse abjecte des inutiles, des difformes, des moutons, des lâches, des héros guerriers malgré eux, des majoritaires, qui hurlent servilement « Vive Clemenceau, Pétain, de Gaulle, Pompidou ! » et qui hurleront demain « Vive Mitterrand, Marchais ! », et après-demain « Krivine ! » ou « Geismar ! ».

« L’ambition de quelques hommes, disais-je, trompe le peuple, car pour servir leurs intérêts, les politiciens n’hésitent pas à employer la science du mensonge, qu’on nomme plus communément la démagogie.

« Chaque petit maître graisse la patte du citoyen pour obtenir de lui, sous le prétexte du progrès social, son adhésion, sa confiance et son suffrage. Et cela depuis 1789.

« Le socialisme est en réalité la propagande du capitalisme populaire. Les idées généreuses et communautaires sont jetées aux chiens, pour ne laisser place qu’aux idées de mieux-être et de profit individuel.

« Ce procédé reste une technique de la démocratie, technique illusoire parce que celle-ci ne résout en rien les problèmes fondamentaux des êtres, mais au contraire crée en chacun de nous une ambition démesurée associée au moindre effort.

« Sous n’importe quel régime, le progrès social nous semble, de toute façon inéluctable. Mais un progrès social est possible tout en conservant le sens de la hiérarchie, l’acceptation des privilèges, et la conscience sereine de l’histoire de notre pays.

« Les révolutionnaires qui mirent fin aux prérogatives des possédants, s’imaginèrent naïvement qu’ils installaient dans notre pays la liberté, l’égalité et la fraternité.

« En morcelant le patrimoine des possédants, les révolutionnaires n’ont servi que les intérêts de quelques-uns. D’autre part, ils ont élevé en institution le vol et l’exploitation de l’homme par l’homme, légalisé l’usure, officialisé l’hypocrisie.

« Quel est l’emploi des sommes issues du progrès économique consacrées au bonheur de tous ? Chacun sait que l’exploitation d’une découverte scientifique ou médicale repousse à très loin l’évolution de ladite recherche.

« Ainsi sur le marché mondial des soins, nous sont livrés chaque année des produits d’une dangerosité insoupçonnée, et cela dans un but strictement mercantile. La concurrence des laboratoires s’exerce au niveau de la publicité ou au niveau des excipients, et l’on trouve commercialisés, en même temps, des produits aux effets identiques.

« Que de temps et d’efforts perdus ! Que de souffrance et de morts inutiles !

« Vivons-nous dans une société monarchique ? Oh que non ! Les princes qui nous gouvernent se prétendent républicains et socialistes. Mais alors, a-t-on le droit d’exprimer honnêtement ses idées ? Oh que non ! Il se trouve toujours un magistrat pour dépoussiérer un vieux texte de loi qui vous envoie directement en correctionnelle.

« On nous fera le reproche suivant : « Vos rois étaient belliqueux, et contraignaient le peuple à vivre des guerres d’intérêt. »

« Mais qui a construit nos frontières ? Sont-ce les républicains ? Et qui a voulu admettre qu’il y eût un temps pour la paix ? Sont-ce les rouges ? Et depuis la chute des rois, les républicains n’ont-ils pas motivé, sous des prétextes patriotiques, les pires élans guerriers chez leurs disciples ?

« Celui dont les ancêtres ont été mêlés à de grandes choses n’est pas libre de mener une vie paisible et vulgaire », disait Ernest Renan. Cette phrase, faute de mieux, nous servira aujourd’hui de bannière.

« Les jeunes de maintenant ont perdu tout sentiment national, car dans les confusions philosophiques qui règnent, et qui sont savamment entretenues, l’amour de son pays est relégué au grenier des souvenirs désuets.

« Aimer son pays, c’est avant tout ressentir au fond de soi une tendresse jaillissante pour la terre, la culture, l’homme. Aimer son pays, c’est refuser le tourbillon des clowns qui animent celui-ci depuis deux siècles. Aimer son pays, enfin, c’est verser son sang pour lui, sans attendre les hommages, les décorations et les honneurs. C’est posséder cette confiance inébranlable dans l’homme, en refusant catégoriquement cette branche des sciences humaines que l’on appelle la sociologie.

« Etre royaliste en 1973, ce n’est pas forcément faire hommage au comte de Paris, croire en l’armée ou en Dieu. Nous méprisons le fascisme. Nous méprisons la justice républicaine. Nous méprisons l’armée et la violence. Nous méprisons la police. Nous méprisons les institutions et nous ne croyons plus en Dieu.

« Nous savons que tout est vain, fors la fidélité à son roi et l’amour de sa terre. 

« Les âmes simples ou préfabriquées ne manqueront pas, à la lecture de ces lignes, de réprimer un sourire amusé. Nous pouvons, en effet, être considérés comme des poètes, des naïfs ou des dérisoires.

« Nous possédons le privilège d’être détestés par tout le monde. Mais cela importe peu, car individuellement, nous nous aimons et c’est cela qui, pour nous, compte.

« On nous veut contradictoires parce que certaines de nos idées pourraient être revendiquées par les gauchistes les plus extrêmes. C’est là, je crois, que s’instaure une réelle confusion.

« La seule identité que nous puissions avoir avec les perturbés d’extrême gauche est que nous sommes des individus contemporains. Souvent, notre expression, notre colère, notre outrance, ont des structures parallèles.

« Mais qu’on ne se méprenne surtout pas ! Si nous rejetons les petits pommadés d’extrême droite, nous haïssons les embrigadés d’extrême gauche.

« Comme je l’ai dit plus haut, nous refusons la violence et préférons vivre en petit comité impuissant, plutôt que d’imposer par la force nos idées. Notre liberté d’agir s’arrête là où commence celle des autres.

« Et puis comment pourrions-nous vivre sereinement en imposant par la force à quiconque nos croyances ? Etant une minorité, nous avons quelques égards pour toutes les minorités.

« Nous ne craignons qu’une seule couche de la société, les oligophrènes, ceux que nous appelons par ailleurs les « conopathes » (70%). Embrigader ces malades de la raison, les exploiter pour vivre nos propres ambitions, serait la dernière des lâchetés.

« La conscience universelle est désormais démocratique. Cela nous donne un sens des réalités, et nous interdit les manifestations vaines et les coups d’épée dans l’eau.

« Nous ne règnerons plus et c’est tant mieux. Mais nous resterons dans l’ombre, puissamment convaincus que la force de nos convictions nous a donné le goût de la justice et de l’amour du prochain.

 « Comprenne qui pourra, mais Guignol qui fait rire aux éclats les enfants des écoles, est de chiffon, de bois et de couleurs. Le marionnettiste lui prête sa voix, ses sentiments et ses mouvements.

« Laissons Guignol amuser les enfants. Et si parfois celui-ci oublie qu’il est une marionnette, fermons la bouche et retirons la main.

« Bien à toi,

« M.-G. Micberth. »

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Pour infos complémentaires :

1. Regards, « Le beau « Monde », 5 janvier 2015.

2. Regards, « La divine surprise », 1er mai 2014).           

3. Regards, « Charlie, François, Eric et les autres... », 1er février 2014.