On a beau dire « c’était mieux avant », quand on retourne en arrière, on constate que même avant Najad, les petits enfants des écoles n’étaient pas gâtés. En témoigne cet extrait d’un inédit de Micberth qui évoque son enfance. (NDRL : Attention ! Si tu es né largement après 1950, tu peux pas comprendre ! Et si t’as jamais retourné ton assiette pour manger ton dessert, passe ton chemin.)


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« Ma génération est née un peu avant, pendant et un peu après la guerre. Dès les années 50, le nazisme fascinait à nouveau mes camarades, tous et toutes fils et filles de victimes de la guerre. La Quatrième République nous semblait si merdeusement conne, si faux-cul, si humaniste par devant et voyoucrate belliciste par derrière avec l’Indochine et l’Algérie, que nous regardions l’avortée tentative expansionniste allemande comme une oeuvre légitime. Par goût de la provocation, j’ai gardé longtemps sur l’avant-bras gauche la cicatrice d’une brûlure au fer rouge qui représentait un svastika. On peut imaginer l’effet produit sur certains de mes profs qui revenaient de déportation. Mais avions-nous la moindre idée de ce qui constituait les thèses du Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei (NDP) ? Absolument pas, pas plus que des thèses nazies qui nous auraient fait bondir si nous les avions lues. Pas un d’entre nous n’avait ouvert Mein Kampf qui, d’ailleurs, quelques années plus tard, m’est tombé lourdement des mains. Non, ce que nous combattions, c’était cette sordide médiocrité des années 50-60, cette société sans panache, vide de sens. On a fait de Mendès France une sorte de génie politique, très méconnu et qui aurait joué de malchance à l’époque kinescopique parce qu’affublé de sa repoussante trombinette de Juif errant. Voilà une analyse bien simplette et vraiment antisémite. La tête de Mendès, on s’en foutait complètement, qu’il soit juif aussi, nous ne le savions même pas et même, parmi nous, il y avait plus de Juifs que de Celtes ; ce qui nous révoltait, c’était l’assistanat paternaliste et bienveillant de ce politique, par exemple, cette effroyable distribution de lait et d’oranges dans les écoles primaires.

« Ceux qui n’ont pas connu le lait de gavage obligatoire de la République, destiné à diminuer les excédents de production, ne connaissent rien de l’humiliation ressentie par les gamins de notre chère bonne vieille France de l’après-guerre.

« Pensez ! On demandait un certificat médical pour excuser les abstinents. Ceux qui n’étaient pas reconnus médicalement allergiques ou intolérants devaient obligatoirement se soumettre à cette répugnante cérémonie. Le lait tiède l’été, plus ou moins tourné, avec des peaux qui vous mettaient l’anus au bord des lèvres, sous les menaces de retenues et le navrant sadisme de ces minables instituteurs, lie ratée, inculte, mauvaise et socialiste. Pouah ! La politique de Mendès commentée par Jean Grandmougin sur les ondes de Radio Luxembourg, c’était pire que les saints Evangiles lus par un petit giton au réfectoire.

« A cette époque, François Mitterrand faisait son apprentissage laborieux de bandit d’Etat. Avec mon cousin par alliance, Abel Dahuron, et le député poujadiste Pesquet dont les filles sont cousines aux miennes, Mitterrand préparait le faux attentat du jardin de l’Observatoire. Comme je n’ai aucune sympathie pour ces trois compères, je renvoie le lecteur aux historiens qui ont traité cette affaire.

« Des souvenirs d’enfance reviennent. L’indignation de mes parents quand je restais, le cul collé à la chaise, seul contre tous ces cons, raides comme des piquets devant les fanfares qui massacraient La Marseillaise. Déjà le désir de me singulariser ? D’afficher l’unique ? Je ne sais. Mauvais texte, mauvaise musique, mauvaises intentions. Révolte contre mes géniteurs ? Certainement pas. Dégoût prononcé pour ces humanoïdes sans gloire qui, servilement, traditionnellement se levaient sans même rien respecter, les bébêtes à Panurge, malaise inouï.

« Mes parents n’avaient aucune idée de ce que représentait la république. Mon père avait bien tâté des études secondaires, mais il ne lui en était resté qu’un peu d’anglais. L’ai-je seulement vu, une fois, un livre à la main ? J’ai beau chercher... Ma mère, elle, lisait beaucoup, mais des sous-produits de la littérature féminine, elle s’évadait. Bref, ils n’avaient aucune culture historique et pas de culture du tout, d’ailleurs. J’ai en mémoire que l’ensemble de mes « manières » agaçaient mes géniteurs. Je parlais pointu, c’est-à-dire que je m’efforçais d’exprimer mes idées le plus correctement possible et j’avais du mérite dans un milieu où tout était approximatif, mais ça donnait au petit père que j’étais une telle dimension de poseur que mes parents en perdaient leurs billes. Et pire, la fameuse assiette retournée, la fin du monde ! Pour économiser la vaisselle, l’eau, le produit nettoyant, la fatigue de la maîtresse de maison, il était impératif de retourner l’assiette pour recueillir le fromage blanc ou le dessert. Quelqu’un qui impose ça à sa famille mérite la mort sur le champ, une balle dans la nuque, crachats dans la gueule, défécation gluante sur la charogne exhumée tous les ans. Et c’est doux. » (Micberth, extrait de « Les Soliloques d’un vieux bandeur », inédit 1990-1991. Photo : Micberth à 12 ans. Archives M.-G. M)