Pieu.jpgLa mort de Jean-Jacques Pauvert, le 27 septembre dernier, me renvoie vers le début des années 1970 et les échanges de Micberth avec les éditeurs parisiens. Nous sommes en octobre 1972. La rédaction du « Pieu chauvache » est terminée. Il faut préciser que le roman a été écrit en quelques semaines, en réponse à une provocation d’A.D.G. (« T’es pas cap’ ! ») que Micberth a aidé à publier son premier roman à la « Série Noire » (Cf. « La divine surprise » sur ce site). Pour le pitch : polar baroque, le « Chauvache » raconte les aventures d’un sociologue justicier aux prises avec des canailles politico-affairistes. Micberth décide d’envoyer son « ours » aux éditeurs parisiens, pour voir...

Pauvert fait répondre par une circulaire du service littéraire (envoyée également aux 1000 auteurs des manuscrits qu'il reçoit chaque année) : « Votre manuscrit ne nous intéresse pas assez pour que nous envisagions de le publier. Il peut plaire à d’autres éditeurs. C’est ce que nous vous souhaitons, en vous remerciant de nous l’avoir confié. Cordialement. » Fayard, qui lui, trouve « beaucoup de qualités » à l’ouvrage, écrit qu’il ne peut entrer dans le cadre des publications habituelles. Il n’entrera pas non dans les collections des Presses de la Cité (Signé : Paul Otchakovsky-Laurens) ni celles de Christian Bourgois, de Plon, Le Sagittaire, Robert Laffont (Signé : Jacques Peuchmaurd), etc. Quant à Robert Gallimard, en raison d’un programme très chargé, il s’excusera : « Il ne nous semble pas (...) que malgré les nombreux mérites de votre ouvrage, ses qualités purement littéraires soient suffisantes pour nous permettre d’envisager sa publication en surnombre. Croyez bien que nous le regrettons... » En décembre, le manuscrit est envoyé à Eric Losfeld avec un mot aimable de Micberth : « ... j’ai pensé à vous qui ne risquez rien, et qui avez la réputation d’être un peu moins con que vos confrères ». C’est dit !

« Depuis près d’un siècle, l’édition en France connaît des injustices littéraires qui dépassent de très loin la plus fertile des imaginations. » Pour info, c’est ainsi que Micberth commence un court pamphlet sur l’édition, rédigé et diffusé en 1970, deux ans avant l’aventure du « Chauvache ». Il a étudié le microcosme germanopratin et dénoncé l’esprit qui souffle sur ce petit monde. « Il fut un temps où l’éditeur se sentait le devoir de conseiller, d’améliorer, voire d’aider le jeune auteur aux textes imparfaits. De nos jours, ce travail est parfois confié aux lecteurs ou aux directeurs littéraires. Les lecteurs sont souvent recrutés dans les universités, exercent jeunes et n’ont par conséquent pas obligatoirement le sens littéraire. Les directeurs littéraires sont, dans la plupart des cas, des auteurs moyens qui trouvent dans cette activité la possibilité d’améliorer leur niveau de vie. On sait que la constitution morale d’un auteur moyen est inconsciemment égocentrique et lui dicte, au regard des confrères, une position de recul très largement subjective Pour l’exemple, il suffit de fouiller les correspondances interprofessionnelles de ces directeurs littéraires. On est surpris de constater avec quel mépris ils considèrent les ouvrages qui leur sont proposés. » Ainsi, rien ne l’étonne donc dans ce premier tour de piste du « Pieu », qui fera via Jacques Lanzmann un second tour chez Denoël, en juillet 1973. La lettre d’accompagnement rédigée par Micberth mérite qu’on s’y attarde :

« Cher Monsieur,

Je tiens d’abord à vous remercier d’avoir pris la peine de lire mon ourson Le Pieu chauvache. Mme M. m’a précisé que vous étiez disposé à éditer ce roman à condition que je le rewrite entièrement.

Hé hé !

J’avoue ne plus très bien piger. Un éditeur me dit : « Votre style est fantastique (sic). Enfin voilà l’écriture que nous attendions. Malheureusement votre histoire est trop invraisemblable, et trop pornographique. »

Vous au contraire, prétendez que mon histoire est mignonne comme tout, tout à fait bandante et que mon style est fastoche, un peu de la merde en bâton.

Faudrait vous entendre les éditeurs ou vous associer !

Modestement, M’sieur Lanzmann, j’ai appris à écrire à des dizaines de petits merdeux qui, depuis ont fait leurs preuves, en particulier le brave A.D.G. (Alain Camille) qui publie son huitième bouquin chez Gallimard et qui a vu « La Nuit des grands chiens malades » porté à l’écran par Georges Lautner sous le titre : « Quelques Messieurs trop tranquilles ».

C’est à coup de lattes dans le cul que j’ai appris au susnommé Camille à bien former ses virgules, à faire des reu, des beu et même des seu. Vous dire !

Mme M. a dû vous glisser dans le tuyau de l’oreille que des universitaires commettaient des thèses sur mes généreuses créations.

J’ajouterai que j’ai lancé dans les années 60, le fameux style « mèque » qui fleurit dans toute la presse contestataire d’aujourd’hui. (J’étais alors président d’une association qui regroupait 40 000 écrivains répartis dans 38 pays.)

Vous allez me rétorquer que tout ça n’empêche pas d’écrire comme un sabot. C’est votre avis, pas le mien.

Et regardez votre propre exemple, M. Lanzmann. Vous avez écrit des chansons pour Dutronc que n’aurait probablement pas revendiquées Vaugelas. Et pourtant, et pourtant, derrière leur simplicité apparente, il y avait le talent et la qualité. J’en veux pour preuve que le jour où vous avez cessé d’écrire pour Dutronc, sa cote a baissé en flèche.

J’ai mis vingt ans pour apprendre à mal écrire. Ça signifie que je me suis dégagé peu à peu des fioritures imposées par les cons, pour posséder un langage multiforme, un vocabulaire puisé dans toutes les créations du langage parlé.

Et vous voudriez que je renie tout cela ? Que j’écrive comme tous ces impuissants du stylographe ? Que ma petite chanson à moi soit blette ? Merde, non !

Il y a moins d’un an, j’ai envoyé mon CHAUVACHE à quelques éditeurs dont Denoël. Bien puni. Mme M., qui se tortillait la matrice de voir mon ourson dormir au fond d’un tiroir, m’a demandé à qui elle pourrait proposer mon bouquin. J’ai dit Lanzmann, parce que j’étais persuadé que vous étiez le seul à avoir suffisamment de couilles au cul pour imposer ce genre de style.

Pas oublier qu’il faut être spécialement intelligent pour ne pas confondre le génie et la facilité. (Merci. Je viens de me moucher avec ma cravate.)

Alors Mme M. a fait toc toc aux Editions Spéciales, pensant vous y trouver. Mais léger comme l’oiseau sauvage, vous vous étiez posé chez Denoël (il y a de gros oiseaux). Et la dame dont je parle ignorait que j’avais déjà proposé mon manuscrit à cet éditeur.

Alors Lanzmann, haut les coeurs ! Vous avez accepté, paraît-il, mon bouquin. Vos complices à moitié, tournant un peu le pif. Un p’tit effort, une grande respiration. Si vous prenez le risque, je serai pas trop gourmand pour la galette...»

(Extrait d’une lettre de M.-G. Micberth envoyée à Jacques Lanzmann le 7 juillet 1973. Correspondance inédite.) 

La réponse, me direz-vous ?

Elle arriva un mois et demi plus tard, signée Albert Blanchard, alors directeur gérant chez Denoël : « Nous regrettons d’avoir à vous dire que, malgré un second examen, nous ne pouvons que vous confirmer notre première décision : votre manuscrit a des qualités, mais il a aussi beaucoup de défauts et, surtout, ne correspond nullement à l’orientation actuelle de nos collections... »

Ah ! Les collections !

L’histoire du « Chauvache » ne s’arrête pas là. Il fut accepté par André Bay, chez Stock quelques mois plus tard. Nous en reparlerons…

(A suivre)