pamphlet_014.jpg« Mes ennemis, fort nombreux, au cours d’une vie riche en événements, n’auront réussi ni à me faire plier, ni à m’abattre. »

Y a parfois de ces textes...

La Lettre de Micberth est un livre que je lis avec difficulté. Premièrement parce que je ne suis pas français (Suis un Beauceron québécois, ça vous étonne hein ?), et puis parce qu’à l’époque (1984-1985), je n’avais que dix ans : je jouais au baseball et buvais du lait. Aujourd’hui, je suis à l’aube de la quarantaine : je bois toujours du lait, mais avec un peu de liqueur de café et de vodka...

Je ne connais M.-G.-M. que depuis trois ans, tout au plus. Je ne suis pas un intime. Malgré la distance qui nous a toujours séparés, j’ai ressenti, dès les premières discussions, une profonde affection pour le bonhomme. C’est maintenant une fidélité indéfectible.

Dans un élan de gentillesse, Micberth m’avait fait parvenir un tas de bouquins, dont La Lettre. Je ne me suis pas garoché, tête première, dans sa lecture, simplement pour avoir la prétention de dire : « J’connais Micberth, moi monsieuh, j’ai lu son livre une fouais… » Non, je ne voulais pas que ne ce soit qu’un fast food littéraire, un vulgaire bouquin qu’on lit distraitement dans une salle d’attente, mal assis entre une catarrheuse, son chiard et un éclopé.

Tranquillement, avec un verre de « Kentucky Straight », je lis, relis, cherche et recherche, farfouille, rage, ferme le livre pour quelques jours, puis recommence. Une phrase ou deux et je tombe sur un mot que je ne connais pas : je dois ouvrir le dictionnaire (Béotien, adjectif : ignorant et grossier. Synonyme : philistin), ou sur un nom qui m’est inconnu : Pauwels, Lévy ou Polac... Merde, qui c’est c’te gars? Recherche Internet. Oh !

Je n’en fais pas une lecture chronologique. Je me garde des surprises, des « inédits », si vous préférez.

Cette semaine, ce fut comme un coup de batte de baseball en plein front….. Ça m’a fait tout drôle... Un texte triste, qui m’a foutu une légère mélancolie.

Âmes insensibles, s’abstenir. Je vous le partage. (Keven Berrigan, 30 octobre 2013)


NéCRO

Le chagrin qui tue*

Il y aurait impudeur à se raconter….. Vivre ! Cette si étrange et fragile chose. Notre corps a des langueurs que notre volonté réfute : mes boyaux crèvent tandis que mon esprit sautille. On m’a expliqué ça plus ou moins précautionneusement au terme d’une trop longue et éprouvante hospitalisation. Si beau, si jeune, si intelligent et peut-être mort déjà…

« Il doit y avoir un juste milieu entre ceux qui, malades, geignent et vomissent leur effroi de la mort et les autres, qui cachent leur état jusqu’au bout derrière un sourire tendre ou chaleureux ou qui se font le masque du sommelier de La Tour d’Argent auquel un béotien réclame d’autorité un beaujolais ou un rosé de Provence.

« Les premiers sont répugnants, les seconds, pour cette volonté puérile d’escamoter leur trouille au bénéfice d’une grimaçante grandeur cabotine, sont dérisoires.

« Moi, ma mort je la jette sur la table. Splatch ! Ni pleurs ni couronnes. Petit, on m’a appris à manger mon pain noir jusqu’à la dernière miette, à utiliser toute chose jusqu’au bout et à ne surtout rien jeter qui puisse encore servir. Ma mort sera donc utilisée bien avant sa consécration. Sans scrupules.

« Oh ! bien sûr, j’ai encore le maigre choix de m’inscrire sursitaire : utilisateur privilégié d’une toute petite machine qui, branchée sur mon coeur, assurerait le relais et ferait régulièrement la nique à la camarde et me métamorphoserait en humanoïde machiné.

« Il y aurait aussi ma volonté tendue comme un arc et qui redonnerait à mes viscères, hurrah ! la joie de renaître.

« Mais comment faire pour tendre ? Quelle singulière tendresse doit-on éprouver pour ce grand « faisceau de His », pour ce « noeud d’Aschoff et Tawara » dont j’ignorais, il y a encore quelques jours, les noms tirebouchonnés et qui, sans crier gare, s’octroient le privilège de déconner une dernière et mortelle fois en provoquant l’ultime syncope terminale ?

Dessin de M.-G. M. (Coll. privée)

« — Mais pourquoi, Docteur : le doigt de Dieu ?

« — Non, mon bon monsieur, le chagrin. Quand l’esprit résiste placidement à la ruée des salauderies de la vie, il arrive, c’est votre cas que le corps, lui, trahisse l’esprit. L’anxieux somatise, le stress érode et bonjour les dégâts ! Ceux qui chialent, bavent leur peine, hurlent de désespoir, font chier leur monde, se beurrent la gueule au jaja et délirent méchamment, ceux-là ne somatisent pas ou peu. Quelques autres, qui se font la belle tête triste de proue qui a vu bien des tempêtes et petites colérettes pour rire, en prennent plein le buffet. Beaux à l’extérieur, certes, mais complètement vermoulus de la caisse, spongieux en quelque sorte…..

« L’homme en santé rampe, cher ami, ou violent, il exprime physiquement ses haines, il découpe au canif ses ennemis et ainsi sauve ses boyaux. Prendre sur soi, quand on a une forte nature extravertie, c’est se tuer. Assurément.

« Votre dégoûtation échappe à tous nos paramètres. On vous a joliment arrangé, dites-moi.

« Quand votre soma est stressé par une cruauté extérieure, il lui faut répondre par une égale cruauté, sinon il s’autodétruit.

« — Alors, Docteur, si l’homme est méchant, c’est uniquement pour garder la forme ? »

« — C’est cela, cher ami, et bonne chance malgré tout. Vous en aurez besoin. Ah ! J’oubliais, il me faut vous prévenir que mon petit  comment dire ? – supplément, heu…  dépassement d’honoraires n’est pas remboursé par la Sécurité sociale. Enfin je ne vous ennuie pas avec cela, vous devez avoir d’autres ennuis en tête…   »

« Que c’est pompeux de dire « ennemis » mais il faut bien dire les choses comme elles sont. Mes ennemis, fort nombreux, au cours d’une vie riche en événements, n’auront réussi ni à me faire plier, ni à m’abattre. À quoi bon se salir quand il y a une destinée pour cela et d’inconscientes taupes ?

« Mon trépas reviendra si je baisse les bras à ceux que j’aime et qui ont dit hier m’avoir aimé. Quel paradoxe !

« Nous voilà noyés en plein romantisme. Il m’aura manqué pour être complet et comique une bonne et vraie phtisie galopante.

« Que le remords bouffe in perpetuum les tripes de ceux qui m’ont tué et que les autres, s’ils le peuvent, m’aident à ressusciter. Rien que pour faire chier la logique, les Diafoirus et une fois au moins donner raison à la vie. Hic jacet M.-G.-M., le plus tard possible, SVP.

« Je me suis éveillé, l’autre matin, le visage baigné de larmes. Il m’était revenu au cours d’une rêverie provoquée par la somnolence médicamenteuse, ces magnifiques vers de Mistral :

« Et puis un jour on dira : c’est celui que l’on avait élu roi de Provence,

« Mais son nom ne survit plus guère que dans le chant des grillons bruns.

« Enfin, à bout d’explications, on dira : c’était le tombeau d’un mage. »

 *(Micberth, extrait de « La Lettre », avril 1985)

 

 NDLR. Merci à Keven Berrigan d’avoir sorti ce texte de La Lettre. Sans quoi, nous n’aurions pas eu le coeur de le publier dès maintenant. Il nous permet de rappeler que Micberth s’est battu contre la maladie et la médecine ignorante pendant plus de trente ans et qu’il a parfois (souvent ces dernières années) souffert le martyre. Cela ne l’a pas empêché d’espérer, de créer, de construire toujours, ne serait-ce que le beau, autour de lui. Que le remords (en effet) bouffe in perpetuum les tripes de tous les faussaires qui ont participé à sa mort.