En février 1974, Micberth entrait comme chroniqueur polémiste à l’hebdomadaire Minute pour y tenir une chronique intitulée « La moutarde au nez », signée sous le nom d’Eric Asudam. La première de ces chroniques, « Apostrophe à la justice », parut dans le n° 618 du journal (du 13 au 19 février 1974). Jean Boizeau, le directeur de l’époque, précisait : « Les fidèles du Crapouillot ont déjà pu apprécier, dans « L’Anthologie du pamphlet », le talent au vitriol de ce jeune bretteur de plume – il n’a pas trente ans – qui fulmine contre notre triste époque comme son maître Céline. Minute à son tour est heureux de faire entendre à ses lecteurs cette voix nouvelle dans la polémique mais déjà vigoureusement timbrée. »

Nous publions ici un large extrait de cet article paru il y a 40 ans, histoire d’établir des comparaisons entre la justice d’hier et d’aujourd’hui. Cet article fut également pour Micberth un tremplin vers Fresnes, son port, sa plage.

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« ... L’intégrité des juges est l’image très exacte de la qualité politique d’un pays. A mauvaise politique, mauvais juges.

« Le grand torrent d’excréments qui déferle depuis un demi-siècle sur nos moeurs occidentales, a tout empuanti, tout souillé, y compris l’administration judiciaire. Nous vivons le temps des coquins. Chaque roué, imprégné de code, peut à sa guise bafouer le bon ordre, chahuter la morale, et réduire à sa convenance les us et lois qui déterminent une vie équitable pour tous, dans une société donnée.

« C’est le siècle des pignoufs.

« Près de deux cents ans après son événement, la république se cherche. Hirsutes sortis de l’ombre par les prérogatives populaires, les petits chefs incultes, sans légitimité, se gaussent, vitupèrent, ordonnent, règnent, modifient, appauvrissent et pourrissent post mortem sous l’ombre de quelque cyprès. L’Histoire se fait, puis se défait. Tristes pantins.

« La justice, elle, ondule, minaude, esquive, feinte, trompe, meurt et renaît aussitôt de ses cendres, imprégnée de sa pérennité ; pérennité d’ailleurs acquise par mille lâchetés et reniements, mille entreprises serviles au service de l’inutile et de l’inadmissible. Hormis la justice divine, bien contestable parce que traduite par l’homme, il reste cette monstrueuse administration de la justice humaine, cette manière ahurissante dont sont réglées les contestations ou punis les comportements antisociaux des individus. La justice pue le pipi de chat (juge d’instruction en argot), le lait caillé et la sueur du haut de la cuisse. Civile ou criminelle, elle montre toujours sa vilaine trogne grimaçante à la bouche édentée déformée par le sourire cynique de l’arbitraire.

« Nos prisons regorgent d’innocents, au sens pathologique du terme, alors que les coupables jouissent à l’extérieur d’une impunité quasi totale. Ecoeurée, assoiffée d’absolu, notre jeunesse se réfugie dans le seul idéal qui lui paraisse sain et convenable : le gauchisme. Cruelle et sordide illusion ! Parce que plus rien n’est juste, le patriotisme dépérit et devient désuet, moumou, caduque, le sentiment national dérisoire et débile (eh oui !). Partout s’infiltre le cancer progressiste qui broie et hache menu les plus petites de nos espérances.

« Si nous n’y veillons pas, un jour, dès potron-minet, nous nous éveillerons vidés de toute substance, châtrés couillons, dans une société au laïcisme suraigu, au matérialisme rigide. Nous aurons perdu tout ce qu’il nous faut d’amour pour que notre génie rayonnât aux coeurs des meilleurs hommes de la terre, et les contraignît à se dépasser, à aller plus avant dans la quête exaltante du meilleur vivre, du meilleur respirer, du meilleur aimer. Ce jour est peut-être proche, le lendemain du grand soir...

« Et si j’ai mêlé politique et justice dans une diatribe largue et longuette, c’est qu’il est impossible de parler de l’une sans faire référence à l’autre, et comme dirait l’humoriste... réciproquement.

« La société en gésine sue ses derniers sangs. Et malgré nos admonestations, la gueuse enfantera un monstre à la grosse tête mafflue, la créature matérialiste et jouisseuse qui détruit l’effort, le courage et l’honneur.

« Entre le laudatif et l’excrémentiel, il y a place pour la franche agressivité.

« Au bout de mon doigt, vous les juges, sournois relaps qui préparez les ruines de demain, petits fonctionnaires sans idéaux, incapables de briser vos chaînes et de vous élever au-dessus du bourbier, jappant devant vos gamelles où refroidit la pâtée.

« Ouaf ! Ouaf ! chiens dressés, vos cous portent la trace du tan des colliers. Vous devriez posséder la majesté du lion, son rugissement superbe, mais vous n’émettez que les braiments de l’âne. La ligne de votre vie devrait se référer au vol droit de l’aigle, alors qu’elle ne trouve d’exemple que dans les rampements du répugnant reptile. Vous ne parlez pas, vous clabaudez. Vous ne jugez pas, vous déféquez...

« Seuls, parmi vous, quelques égarés, pour vous saugrenus, sur des îlots très inconfortables, travaillent pour le respect dû à l’histoire de votre fonction. Ces hommes admirables et solitaires servent la justice sous vos ricanements et vos crachats. Ceux-là pourtant méritent le respect de la France laborieuse et éternelle. A côté des grandiloquences, ils besognent inlassablement pour que nous autres, pauvres justiciables, puissions, tant bien que mal, guérir nos plaies et oublier nos rancoeurs. » (Micberth-Asudam in Minute, 13-19 février 1974)