Les années 1970

Révolution 70

Le texte ci-dessous, paru en 1968, est certainement l’un des premiers écrits pamphlétaires de Micberth qui nous laisse quelques définitions fleuries convenant à merveille à nos « poulitichiens » d’aujourd’hui. Ce numéro déclencha l’ire des forces politiques locales (sur cinq départements), pouvoirs publics, francs-maçons, membres éminents du Lyon’s et du Rotary et obligea Micberth (inculpé d’outrage aux bonnes moeurs par voie de presse) et ses collaborateurs à quitter la ville.

Il écrira : « Nous étions considérés comme de véritables rebelles, aux principes « naturels », car nous avions refusé de jouer le jeu qu’on nous imposait. Dans nos correspondances et nos articles, nous avions dénoncé tous ceux qui avaient fait la gloire « scabreuse » de notre région depuis trente ans. »

 Extrait de Révolution 70 n° 4 du 2 juin 1968 :

« Puant le vrai conditionnement, puante la phénoménologie réifiante. Je me pue. Armes, crises, larmes, chevaux, popots, la belle lavallière, comte d’hier et du devenir humain. Crapules communistes et poireaux, oui poireaux, pire que poireaux. Ah ! les lâches, les peu-à-genoux, les guenilles chienliteuses, vestes à mille revers, syndicats casseroles et caramels, brûlés bien sûr ; leaders lie-de-vin, jaunes de pisse et de chinoiseries chiées, petits cris de bise anale, au cholédoque bouffé par la corrosive impuissance. Français, mes frères, vous vivez les vomissements agnostiques des particules reflets d’humain. Ne vous laissez plus enculer par des poulitichiens galeux, vrombisseurs honnis. Informez-vous travailleurs, ceux qui profitent de vos revendications légitimes pour leurs ambitions politiques ne doivent plus vous représenter... »

Cette édition de « Révolution 70 » portait le titre (stratégique) de « France Noire » pour tromper l’ennemi et éviter aux personnes qui distribuaient le journal à Tours de se faire lyncher. 

 « Actual-Hebdo ». Le style « mèque »

De décembre 1972 à janvier 1974, Micberth publie l’hebdomadaire pamphlétaire « Actual-Hebdo » qui aura pour objectif d’interpeller les consciences et bousculer les idées reçues. Il impose le « style mèque » et signe ses articles incendiaires sous le nom d’Eric Asudam, pseudonyme utilisé depuis les années 1960. Explication de l’intéressé : « A 15 ans, on m’a fait dormir dans un camion de merde sur l’île d’Oléron. Les parois étaient tapissées d’affiches d’agences de voyage sur lesquelles s’étalait en grandes lettres capitales le titre : SUD AMERICA, d’où Eric Asudam. J’avais besoin d’un pseudonyme pour signer mes livraisons libres, érotiques et violentes, bref, mes cochonneries, à l’instar de Boris Vian qui avait choisi Vernon Sullivan pour « J’irai cracher sur vos tombes » ou « Les morts ont tous la même peau », Frédéric Dard : San-Antonio pour les frasques de son célèbre commissaire et tant d’autres. » (Micberth, FB, 19 décembre 2012)

Tous les textes de Micberth parus dans le « Actual-Hebdo » (ainsi que ceux de « Minute », « Le Quotidien de Paris », « Le Réfractaire », etc. ) ont été réunis dans un recueil intitulé « Les Vociférations d’un ange bariolé » à paraître prochainement. Micberth a rédigé un avant-propos où il raconte cette fabuleuse aventure éditoriale et la consécration qu’elle lui apporta.

pamphlet_005.jpg

« Alors c’est dit. Je suis un grand pamphlétaire ! Même descendu des oeuvres complètes de P.L. Courier, Barbey d’Aurevilly, Proudhon, Drumont, Bloy, Daudet, Jeanson, Matzneff, même à genoux dans le limon, même roulé en boule comme un vulgaire mouchoir en papier, même déjection séchée, je suis…

« Des anthologues éminents l’ont écrit, noir sur blanc, avec de beaux caractères artistiquement dessinés dans un journal exécuté sur papier couché. Ben, me voilà tout fier.

« La modestie est la dignité des imbéciles », disais-je. Trop soucieux de paraître savant et inquiet de me contredire, je goûte donc l’honneur qui m’est fait ou, plus exactement, la justice qui m’est rendue, avec la candeur des satisfaits vachement comblés. Meuh ! Ce n’est pas tant la considération d’un torche-cul qui me flatte, mais l’événement qu’a suscité le choix de ses collaborateurs. Enfin, soyons sérieux. Comment ce cacographe de Micberth-Asudam a-t-il pu s’introduire à la table des prestigieux faiseurs ? Par effraction assurément. Le bougre n’en est pas à sa première friponnerie…

« Désolé, mes sires, on m’y a traîné de force, presque contre mon gré et, autant que vous, j’ai été surpris de découvrir mon patronyme au beau milieu de ces potentats.

« Je parle, pour le lecteur qui ne me suivrait que d’assez loin, du numéro anthologique du « Crapouillot », « L’Anthologie du pamphlet de la Libération à nos jours » qui fit en 1973 son impérissable grandeur en me présentant comme un maître plausible.

« J’entends d’ici les jaloux, ceux qui tètent les conduits des latrines, la main sur le coeur, affirmer doctement que « Le Crapouillot » n’est plus ce qu’il était, gnagnagna et que la charogne de Galtier-Boissière tressaute dans son sépulcre. Peut-être, mais les faits sont là.

« Contents ou pas, ces drôles seront tout de même contraints de m’avaler jusqu’au bout et en poussant un peu leur gros cul pour que j’y mette le mien.

« Et puis, qu’on se rassure, mon règne aura été de courte durée. Dans un premier temps, le gouvernement Pompidou a « suicidé » mon journal, dynamité mon estrade qu’il prenait dans sa myopie d’indigent de la tête pour une tribune ; et enfin, le ministre de l’Intérieur de Giscard Ier, parachevant l’oeuvre de ses illustres devanciers, m’a jeté en août 1974 dans un cul-de-basse-fosse. Fresnes, vous connaissez ? Depuis, je m’épuise en vindictes procédurières. »

 « Le Crapouillot », « Minute »

Dans son numéro 26 d’août-septembre 1973, Le Crapouillot publie « L’Anthologie du pamphlet de la Libération à nos jours ». Eric Asudam y figure en bonne place aux côtés d’Anouilh, Bernanos, Bloy, Céline, Daudet, etc. Il est l’un des plus jeunes pamphlétaires consacrés dans l’anthologie, avec Jean-Edern Hallier.

Le rédacteur en chef, Michel Eberhardt, le présente ainsi : « Approche la trentaine et passe volontiers pour un « aventurier ». Rédacteur en chef d’« Actual-Hebdo », publication incendiaire et « marginale », dont l’équipe est issue de la défunte Jeune Force poétique française. Bien que ses opinions puissent paraître d’extrême gauche, Eric Asudam avoue préférer la lecture de Maurras et de Céline à celle de Karl Marx. En tout cas, il ne fait pas de doute qu’il a su trouver un ton (le style « mèque » ou langage parlé) et qu’il ne s’empêtre point de convenances. En résumé, un représentant doué de la génération des « contestataires », qui choisit ses cibles dans tous les secteurs de l’actualité, ainsi que le démontre cette philippique débridée contre les fâcheuses incertitudes de la transplantation cardiaque. »

pamphlet_002.jpg

En février 1974, Jean Boizeau, directeur de « Minute », confiait à Eric Asudam (Micberth) une chronique intitulée « La moutarde au nez ». La première de ces chroniques qui fut publiée dans le n° 618 de l’hebdomadaire (du 13 au 19 février 1974) était présentée ainsi : « Eric Asudam, ce nom ne vous dit peut-être encore rien. Mais vous allez en entendre parler. Les fidèles du « Crapouillot » ont déjàpu apprécier, dans « L’Anthologie du pamphlet », le talent au vitriol de ce jeune bretteur de plume – il n’a pas trente ans – qui fulmine contre notre triste époque comme son maître Céline. « Minute » à son tour est heureux de faire entendre à ses lecteurs cette voix nouvelle dans la polémique mais déjà vigoureusement timbrée.»

 Jean Boizeau projetait de donner à Micberth la responsabilité de plusieurs numéros du « Crapouillot ». Mais les relations se détériorèrent et la collaboration cessa quelques mois plus tard (en mai), lorsque « Minute » prit position pour Jean Royer, candidat à l’élection présidentielle, Micberth s'étant violemment opposé au maire de Tours pendant une dizaine d’années. Micberth écrira le 10 mai à Jean Boizeau : « Il est vrai que j’ai été profondément attristé, voire heurté, par votre numéro clownesque consacré à Royer, panégyrique infantile, bourré d’erreurs journalistiques et procédant d’un enthousiasme plus que douteux. (...) Il aurait été grave, pour moi, de mêler mon nom à ces fantaisies de plume. Les quelques personnes qui me témoignent de l’estime ne m’auraient jamais pardonné cette bassesse. » (...) Je garderai un bon souvenir des petits gens de « Minute », de tous ceux qui n’ont pas la température du journal et savent. C’est d’ailleurs partiellement grâce à eux que j’ai perdu mes illusions. »


Texte de Micberth signé Eric Asudam publié dans Actual-Hebdo n° 15, du 24 mars 1973 et repris dans « L’Anthologie du pamphlet » parue dans Le Crapouillot n° 26 d’août septembre 1973

« Je ne sais si vous vous rendez bien compte, mais je suis mort depuis vingt-quatre heures. « Tu l’aimes, toi, ton coeur ? », m’avait-on dit. « Bof, pas plus que ça ! », j’avais répondu. Un mot en entraînant un autre, « vingt-deux t’es pas cap’ », et moi je fus cap’. J’allai trouver un professeur, une belle tête et tout, avec de grands verres tout ronds qui dissimulaient à peine les immensités de son savoir.

— Tiens donc !

— Oui, Monsieur. Le mien s’est usé à trop de passions vaines... Enfin, j’ai besoin d’une pompe toute neuve.

— Vous avez des sous ?

— Un peu.

— Bon.

Je rigole comme ça, mais je suis mort depuis vingt-quatre heures…

— Vous êtes le 32 843e opéré, me dit une frétillante infirmière tout en palpant à l’intérieur de la poche de mon veston mon portefeuille, pour voir si j’étais solvable.

— J’en suis heureux, répondis-je avec d’infinies précautions pour ne point abîmer le gros tuyau en caoutchouc qu’un interne m’avait enfoncé dans la gorge.

— Vous n’avez aucune raison d’être heureux, persifla-t-elle, parce que tous vos prédécesseurs sont morts, sans exception.

J’avais sollicité une anesthésie locale, soucieux de suivre seconde par seconde le déroulement de l’intervention. Journalisme oblige, que voulez-vous.

Scalpel glisse sur poitrine qui s’ouvre comme sexe d’une femme qui désire. Cage thoracique apparaît avec nonos et poumons. En tirant un peu sur le cou, je le voyais enfin ce coeur, ni trop beau ni trop moche, solide au poste, palpitant comme un oiseau blessé.

A ce moment, je vous l’avoue, j’eus presque des regrets. Aussi j’exigeai qu’on m’apportât le coeur du donneur afin de le comparer au mien. On s’exécuta. C’était un coeur qui, ma foi, faisait bon an mal son affaire de coeur. Ni trop gros, ni trop petit, il avait, en plus d’une brillance particulière, un côté sympathique qui donnait au mien un aspect de betterave pourrie, et par surcroît quelque air de jeunesse qui me ravit du coup. Et puis en toute chose le changement a du bon !

— Allez-y ! ordonnai-je.

On me brancha sur une grosse machine située à ma droite, une sorte de lave-vaisselle en plus compliqué, sur lequel je déchiffrai, inscrit en roumain : « Coeur, poumons artificiels ». J’oubliais de vous dire que je pratique, entre autres, le roumain, pour des raisons personnelles de communication. J’ai en effet pris conscience que parler le roumain ou le français à des tiers ne changeait pas grand-chose à la compréhension.

La pompe électromécanique pompa, respira, pulsa, débita, tachycarda à ma place pendant que le chirurgien, professeur éminent, découpait avec allégresse et joie de vivre mon artère aorte, mes veines pulmonaires et tout le toutim. Lorsqu’il eut extirpé mon coeur, il le palpa, le renifla, goûta du bout de la langue, fit une mine franchement dégoûtée, le montra à ses assistants, rigola. Tous les autres rigolèrent, mais alors la franche rigolade !

« Bande de cons ! », murmurai-je entre mes tuyaux.

Puis dans un geste que n’eût point réfuté un grand orateur grec, il expédia le viscère dans une corbeille à papier. Une infirmière apporta sur un plateau de porphyre et de nacre incrustée le coeur du donneur. Il était temps, car mes bons soigneurs commençaient à patauger dans mon sang.

Le chirurgien fit glisser le greffon dans la plaie béante, et à l’aide d’une cuillère à soupe, récura proprement le plateau pour ne pas en laisser.

Le plus dur fut de bien disposer ce puzzle. Et que je te recommence vingt fois la même chose, les artères ne correspondant pas. Coups de ciseaux par-ci, coups de burin par-là. Je commençais à ne plus apprécier le spectacle. Mauvais spectateur j’étais.

Je vis l’étoile filante qui traversa le regard du professeur, et je compris qu’il tenait enfin le bon bout. Comme il avait pris du retard, c’est avec une certaine rapidité, peut-être même avec négligence, qu’il recousit les artères aux artères, les veines aux veines, et ainsi de suite, sauf erreur. Il récura ses doigts sanglants sur les bords de la plaie, et après avoir soufflé dans le trou pour ne pas laisser de poussière, il me confia à l’agrafeuse.

Cette petite troupe se congratula, puis se dispersa, alors que j’étais entraîné vers la chambre stérile . Heureusement, là je retrouvai des figures connues : Pierre Desgraupes m’attendait avec 8 cameramen, 12 preneurs de son, 43 directeurs de la photographie, 5 producteurs, 12 ingénieurs du son, 667 scripts, 12 directeurs adjoints de la production, 7 ingénieurs vidéo, 23 perche-men, 22 claque-men, 5 ingénieurs aux effets spéciaux, 2 gag-men et la petite amie de Desgraupes.

Comme ces doux amis étaient déjà bien indisposés par l’étroitesse de la chambre stérile, on me laissa dans le couloir. Et c’est ainsi que je mourus, juste au moment où une script qui faisait office de maquilleuse pour qu’il n’y eût point trop de monde, me passait la houpette sur les tuyaux.

Je vous l’ai toujours caché, maintenant que je suis mort cela n’a plus aucune importance, j’avais 60 ans, et j’étais mareyeur à Concarneau.

A côté de saint Pierre, quelques instants plus tard, j’entendis mon professeur dire que « l’expérience ne pouvait avoir de signification que si elle était reproduite fréquemment avec un grand nombre de personnes ». Eh bien, si j’avais su, je serais venu avec tous les copains ! »